Chapitre 23

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Nonchalamment assis derrière mon bureau, j'essayais de me concentrer sur le livre que je tenais entre les mains. En réalité, je n'arrivais pas à saisir le sens des lignes que mes yeux parcouraient car j'étais plongé en pleine réflexion. Quelques minutes plus tôt, une servante m'avait apporté une nouvelle invitation de la part de l'étrangère. J'en avais déjà reçu une la veille et elle avait apparemment passé outre le fait que je l'avais ostensiblement ignorée en m'en envoyant une autre. Ça indiquait une réelle volonté de me rencontrer. Volonté à moitié partagée seulement. Parce que je ne pouvais que m'interroger sur l'intention qu'il y avait derrière cette rencontre.

« Elle te fait peur ! » ricana la Piri. « Tu as toujours été intimidé par les femmes. »

« Et réciproquement. » corrigeai-je, en n'essayant pas de nier pour autant. « Mais ce n'est pas la fille qui me fait peur, en l'occurence. C'est le premier ministre Choi. »

Parce que quelles que soient les intentions de l'étrangère, c'était celles du premier ministre Choi qui se cachaient derrière. Et quelles qu'elles soient, je ne voulais pas y contribuer. Je faisais partie de la famille royale, ma priorité devait être les intérêts de ma nation, dans son entier. Et j'étais bien persuadé que ce n'était pas celle du premier ministre. De plus, il avait déjà bien trop de pouvoir et cherchait tout de même toujours à l'étendre un peu plus. Jamais je n'y apporterai sciemment mon concours.

« Ah. Le premier ministre Choi sait y faire. » s'esclaffa la Piri. « Cette fois ci, il a choisi la seule arme qui puisse te faire peur. Quoi que tu en dises. Mais n'est-il pas mieux de connaitre le jeu de ton adversaire pour essayer de retourner ses atouts contre lui ? » suggéra-t-elle.

« Je connais déjà son jeu... » soupirai je intérieurement.

Il n'y avait pas trois cent choses que l'on pouvait faire avec une fille. Si le premier ministre Choi voulait que je la rencontre, c'est qu'il avait probablement dans l'idée de nous rapprocher. Et ce rapprochement ne pouvait avoir qu'un seul but. Mais comme une union entre elle et moi ne lui apporterait qu'un bien maigre bénéfice, il y avait de manière certaine un autre dessein derrière. Et j'avais bien peur de savoir lequel.

« Je t'ai déjà dit qu'elle n'était pas pour toi. » s'amusa la Piri.

« Elle le sera si le premier ministre Choi parvient à en convaincre assez de monde. » lui opposai je.

Et il le ferait si ça pouvait l'aider à parvenir à son but ultime. Le premier ministre Choi voulait garder son contrôle sur la couronne. Ça, je m'en étais bien aperçu au fil des années. Il ne laisserait jamais San gouverner de son propre chef et trouverait toujours un prétexte pour prendre les décisions sans vraiment le consulter. Il avait la plupart des conseillers royaux avec lui et beaucoup de gens influents. Même en le sachant, je ne pouvais rien faire pour aider San de ce côté-là. J'aurais voulu rallier des gens à sa cause mais... Je n'avais pas la tête de quelqu'un à qui l'on faisait confiance. C'était ça, ma malédiction. Pour autant, je m'étais consolé en me disant qu'il n'avait aucun moyen de mettre définitivement la main sur le trône. Pas de fille à marier et un unique fils qui mettrait des années avant d'accéder à un poste aussi prestigieux que lui. Il serait toujours temps de remettre San et sa possible descendance sur le droit chemin lorsqu'il aurait disparu.

Mais maintenant qu'il avait une fille -peu importe sa provenance-, ça changeait la donne. Avec une fille, il pouvait entrer dans la famille royale par les liens du mariage. Si ce n'était pas pour ça, avec sa morale ultra conservatrice, il n'aurait jamais songé à une adoption et encore moins celle d'une étrangère. Et maintenant, elle voulait me rencontrer, moi qui étais le premier dans l'ordre de succession. Moi qui n'avais pas encore de femme. Le projet du premier ministre était forcément d'en faire ma première épouse légitime. Mais si c'était pour prendre le contrôle total du trône et éventuellement élever un futur héritier qui serait de sa famille, il fallait que je sois le roi. Et pour que je sois le roi, il fallait que San meure. Une perspective peu réjouissante.

Le souhait du roiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant