Chapitre 89

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Assis devant mon bureau, j'étais agité et troublé, incapable de me concentrer sur l'ouvrage qui était ouvert devant moi.

Cet après-midi, je ne m'étais pas rendu au banquet de fiançailles de Seong Hwa, suivant mon habitude de ne pas me présenter aux évènements du palais. Je n'aimais pas être entouré de trop de monde et j'avais déjà fait une exception au banquet de bienvenue de Ri Ah, parce que la curiosité avait été la plus forte. Mais cela m'avait bien rappelé que je n'aimais pas la foule et pourquoi je ne l'aimais pas et je n'avais pas voulu retenter l'expérience. D'autant que l'évènement concernait Seong Hwa et qu'il n'appréciait pas de me voir. Ce qui était rare, de toute manière. Mais comme l'évènement était officiel et qu'il faisait partie de la famille royale, il devrait déjà se tenir aux côtés de San -qu'il détestait bien plus que moi- alors je n'allais pas en rajouter. Je ne venais déjà pas quand j'étais le bienvenu...

Mais même si je ne participais pas aux différentes célébrations de la cour, cela ne voulait pas dire que je ne savais pas ce qui s'y passait. Ae Weol, ma fidèle et discrète servante, était mes yeux et mes oreilles et me rapportait tout ce qui était important que je sache. Des années de service lui avaient apporté l'expérience nécessaire pour juger des situations qui se présentaient à elle et elle était un atout inestimable, d'autant plus que personne ne faisait attention à une vieille servante peu loquace. Quant à moi, j'aurais sans doute aimé qu'elle soit plus bavarde mais elle avait tendance à être très factuelle. Efficace mais pas pipelette. Je respectais ça.

En milieu d'après midi, en me servant le thé, elle m'avait annoncé que l'étrangère Ri Ah avait fait un malaise après le banquet et que le médecin royal n'avait pas précisément su dire ce qui lui était arrivé. Les médecins royaux étant choisis pour leurs compétences exceptionnelles -la santé du roi et de ses proches et conseillers étant en jeu-, je me doutais donc que le mal qui l'avait accablé devait relever d'un domaine qu'ils ne maitrisaient pas : le domaine spirituel. Il n'était pas rare qu'un mal spirituel ressemble à une maladie bien physique. Peut être qu'entourée de tant de monde, l'étrangère avait eu du mal à contrôler son don ? Cela m'arrivait beaucoup lorsque le mien s'était déclaré. Je m'étais plusieurs fois retrouvé sans énergie et les jambes coupées. S'il s'agissait bien de ça et qu'elle ne trouvait pas vite les astuces pour maitriser ses aptitudes, elles allaient lui pourrir la vie, voire, dans un cas extrême, lui ôter.

« Tu n'as jamais vraiment risqué ta vie, tu étais protégé. » objecta la Piri.

C'était vrai. Mais pas par elle, pas au début. A l'époque, j'avais un esprit protecteur. Quand j'étais tombé malade -c'était ainsi que s'éveillaient les dons des chamanes-, ma mère avait tout de suite su comment réagir bien qu'elle n'ait jamais eu ce don elle même et une chamane avait appelé un esprit protecteur pour moi. Je n'avais pas pu aller plus loin dans mon apprentissage du monde des esprits à cause de mon rang mais au moins, ma vie avait été sauvée. La Piri s'était chargée de faire fuir l'esprit protecteur une fois que son énergie m'avait remise sur pied. Il était difficile de trouver plus puissant qu'elle et même enfermée, elle avait le pouvoir de tourmenter les autres esprits qui pourraient se tenir trop près d'elle.

« Mais je t'ai protégé comme il l'aurait fait. Bien mieux, même » rappela-t-elle, se vantant un peu au passage.

J'aurais été de mauvaise foi si je ne lui accordais pas ça. Mais c'était uniquement parce qu'à ce moment-là, elle pensait pouvoir me convaincre de la libérer. Quand elle avait compris que ça ne se ferait jamais, j'avais déjà appris à me protéger moi même de mon propre don. Je restais sensible aux attaques spirituelles mais elles n'étaient pas si fréquentes et j'étais assez fort pour ne pas en mourir.

« Si seulement tu pouvais céder un peu de cette force à la pauvre petite étrangère apeurée qui ne bénéficie d'aucune protection... » dit la Piri, sur un ton mélodramatique.

Le souhait du roiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant