Le souhait du roi

Chapitre 59

J'étais dépassé par la situation. J'étais à la fois effrayé, troublé et en colère qu'elle se soit permise d'entrer chez moi, dans un espace qui n'appartenait qu'à moi, et qu'elle soit arrivée aussi près de la Piri. C'était l'objet que je devais protéger et sur lequel personne ne devait jamais poser la main. Elle l'avait presque saisi. Rien que cette idée me donnait des sueurs froides. Et moi, je n'étais pas là quand elle était entrée. J'avais eu besoin de prendre une bouffée d'air frais dans les jardins et ces quelques minutes d'inattention avaient failli être fatales. Pour ça, j'étais en colère contre moi-même.

Et alors que j'avais besoin de me remettre de l'émotion de ce qui avait failli se passer, que j'avais besoin qu'elle parte et qu'elle ne remette plus jamais les pieds ici, la fille était maintenant fermement campée devant moi et elle refusait de partir. C'était de ma faute. Je l'avais ignorée en pensant que j'éviterais cette situation mais je n'avais fait que la retarder et la rendre pire.

Je pouvais l'expulser. La faire partir sans autre forme de cérémonie. Elle était venue sans autorisation, c'était mon droit. Mais... Avec quel personnel ? ça faisait bien longtemps que j'avais vidé la résidence de ses serviteurs hormis la vieille servante qui entretenait les lieux. Et elle n'était pas tout le temps là. J'étais donc seul face à elle et je ne voulais pas la toucher. C'était quelque chose que j'évitais avec tout le monde. Cela pouvait déclencher mes prophéties et j'avais eu mon content d'émotion pour la journée.

Le fait qu'elle soit venue jusqu'ici et refusait d'en bouger était bien la preuve que, comme je le pensais, l'étrangère attendait quelque chose de moi. Mais de manière surprenante, le ton qu'elle avait employé avait un accent de désespoir auquel je ne m'attendais pas. Je m'étais imaginé quelqu'un de beaucoup plus confiant, de plus décidé. Je ne devais pas m'y fier. Beaucoup de manipulateurs étaient doués dans l'expression d'émotions qu'ils ne ressentaient pas.

Je profitai du fait qu'elle semblait en attente d'une réponse de ma part, campée sur ses positions sans être dans l'action, pour l'observer un peu plus attentivement. Jusque-là, je ne l'avais vue que de loin et imaginée au travers les descriptions de mon frère. Et je devais dire qu'elles ne suffisaient pas à rendre honneur à la réalité. Je n'avais jamais vu quelqu'un d'une beauté aussi étrange. C'était comme si elle était un être sortie d'une légende, semblable à nous tout en étant très différente. Le plus saisissant étaient ses yeux, larges et ronds, aussi bleu que le ciel d'été. Sa peau pâle était d'une nuance subtilement différente de celle des habitants de Joseon, plus rosée, son nez plus long et ses cheveux auraient pu être composés d'un enchevêtrement de rayons de soleil s'ils avaient brillé.

« Tu en as fini avec ta poésie ? » demanda la Piri, d'un ton vaguement dégouté.

Je ne fis pas attention à elle. Ce n'était pas ma faute si elle ne voyait pas la beauté là où elle se trouvait. Et même si cette beauté était dangereuse, elle existait.

Mais alors que je détaillais la jeune fille, quelque chose me sauta d'un coup aux yeux. Elle tremblait. Son expression était ferme et décidée, ses lèvres serrées et ses yeux concentrés mais malgré ça, elle ne pouvait pas réprimer un léger tremblement. Surpris par cette constatation, je m'interrogeais sur cet état de fait et la conclusion ne me surprit que davantage. Malgré le fait qu'elle m'ait envoyé des invitations, malgré le fait qu'elle soit venue de sa propre initiative, serait-il possible que... ? Oui. Elle avait peur de moi. Et elle luttait contre cette peur pour rester campée devant moi mais c'était comme si tout son corps avait envie de s'enfuir. Et elle essayait de le dissimuler. Ce n'était pas la première qui était effrayée d'être en ma présence. J'avais l'habitude d'être craint malgré moi. Mon lien avec le monde des esprits suffisait à épouvanter une grande partie des gens.