.I. Un morceau de passé

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Septembre 2015

— Tes œufs sont immondes.

    Sandy, la poêle à la main, une fourchette à la bouche, sort tout juste de la douche, et son odeur traverse la pièce.

    — Si tu n'aimes pas tu n'en manges pas, répond Adèle.

    Adèle s'est déjà habillée pour aller au travail. Comme chaque jour, elle est vêtue d'un tailleur noir par-dessus un chemisier blanc, une jupe crayon noire et des escarpins de la même couleur. Cette femme, magnifique brune, paraissant plus jeune que son âge, c'est notre mère, à Sandy et moi. Même si je ne suis pas son fils biologique, elle m'a toujours considéré comme tel, et c'est la seule femme que je peux réellement appeler maman. Et c'est la même chose pour mon père. Ce sont mes parents. Les autres, se sont mes géniteurs. Les souvenirs que j'ai d'eux disparaissent peu à peu, mais je ne les empêche pas de le faire, au contraire. La seule chose dont je me souviens dans les moindres détails, comme si c'était hier, c'est le jour où il m'ont abandonné.

    Il était tôt, le soleil se levait à peine. Ma mère me secouait légèrement d'une main dans le dos pour me réveiller. Engourdi, je lui portai une main sur sa joue, et senti quelque chose d'humide, puis elle me prit le poignet, le retira doucement de son visage et me dit :

    — Allez, réveille-toi mon cœur, on doit y aller.

    — On va où ? lui demandai-je.

    — Tu verras, répondit-elle avec un sourire, que je vois aujourd'hui comme étant artificiel. 

    Elle me fit sortir du lit, m'amena me laver et m'habiller. Personne ne parlait. Ni ma mère, ni mon père, qui lui ne me regardait même pas. Ma mère prit son sac à main, enfila une veste, et se retourna vers moi, les yeux rouges, le sourire forcé.

    — Allez, on y va !

    — Papa vient pas ?

    Elle le regarde, un instant.

    — Non, papa va garder la maison, dit-elle en me poussant dehors.

    Le trajet en voiture était affreusement long. Elle emprunta des routes que je ne connaissais pas, entra dans des villages et des villes dont j'ignorais l'existence, et roula sur une autoroute bondée d'automobilistes. Mourant de fatigue et d'ennui, je me laissai emporter dans un sommeil profond, afin de finir ma nuit.

    Mon visage chauffait, la lumière perça mes paupières.

    — Alors mon cœur, tu es fatigué  ?

    Ma mère détacha ma ceinture.

    — On est arrivés, mon chou, c'est fini. Elle me serra dans ses bras, et je la sentis sangloter, puis elle prit son souffle, me lâcha et m'adressa un grand sourire. Tu veux une glace  ?

    Je regardai le soleil au loin, le ciel orangé m'indiqua que la journée touchait à sa fin. Je venais de passer la journée entière dans la voiture avec ma mère, et je ne savais toujours pas pourquoi.

    — Allez, viens, dépêche-toi, me pressa-t-elle. On va aller manger une bonne grosse glace, hein  ?

    Elle m'acheta un cône de glace, vanille-chocolat.

    — Bon allez, on y va ! dit ma mère.

    — À la maison  ?

    Ma mère ne répondit pas. On marcha quelques minutes sur un chemin de terre, je regardais les oiseaux qui volaient, et les chiens qui jouaient avec leurs maîtres plus loin. Le soleil de fin d'après-midi donnait aux cheveux bruns de ma mère une lueur orangée à contre-jour. On s'approcha d'un grand bâtiment beige, vieillit par le temps. On entra. Le sol était recouvert d'un revêtement bleu foncé, verni. Les chaises en métal aux coussins bruns reflétaient dessus. Il y avait également une plante verte à chaque coin de la pièce. Mais aussi une jeune fille, plus jeune que moi, un homme et une femme, dont cette dernière pleurait, ainsi qu'un vieillard, assis sur une des chaises, le regard vide.

JoWhere stories live. Discover now