.XI. Juste un sourire

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Ce matin là, la scène est similaire à celle de la veille. Pas beaucoup de monde devant le lycée, je suis seul car mes amis arrivent plus tard, certains sont déjà rentrés, et Sandy ne vient pas avant 10 h 00. Mais surtout, Aiden est adossé à la grille, en train de fumer. Au point où nous en sommes, lui et moi, cela serait plus bizarre de ma part de ne pas aller le voir que le contraire, étant donné que nous ne sommes plus inconnus l'un l'autre, et qu'il m'a invité deux fois. Je décide alors, non sans hésitation, d'aller le voir.

Alors que je m'approche de lui, il m'aperçoit et vient vers moi.

-Ça va ? me demande-t-il, tout sourire.

-Nickel, et toi ?

-Super. Tu finis à quelle heure, aujourd'hui ?

Là, il m'a devancé. Je comptais, pour lui rendre la pareille, l'inviter quelque part. Mais je sens qu'encore une fois, il fait le premier pas.

-À 14 h 00, j'ai pas physique-chimie, aujourd'hui. D'ailleurs, tu travailles aussi le mardi, maintenant ?

-Et oui, il faut bien manger, plaisante-t-il. Je finis vers 15 h 00, moi. Ça te dérangerait de m'attendre ? On pourrait remettre ça.

-Justement, j'allais te le proposer !

-Je vois qu'on est sur la même longueur d'onde, alors, me dit-il en souriant.

-Je l'espère, en tout cas, dis-je un peu trop haut.

Il me regarde, comme pour m'analyser, mais avec un regard très doux, presque... protecteur.

-À toute à l'heure alors, lui dis-je pour m'enfuir.

Quand j'entre dans le hall, je vois Marvin qui est assis seul sur un banc, les yeux rivés sur son téléphone.

-Hey, qu'est ce que tu fous tout seul ? lui demandé-je.

-Bah rien. T'as révisé pour le français ? Je connais rien ça me fait baliser.

-Il n'y a rien à connaître, c'est une dissert'.

-Ah OK, si tu le dis, fait-il en riant. Elle est toujours malade Sandy ?

-Elle vient un peu plus tard.

La sonnerie nous rappelle rapidement à l'ordre, est c'est programmés comme des robots que nous montons tous en troupe vers nos salles. Madame Bois nous fait rentrer à l'heure, et nous dit de sortir une copie, puisque nous ne pouvons pas écrire sur les tables. Lorsque je vois le sujet, je suis confiant : « Pensez-vous que Cyrano de Bergerac est à la fois une comédie, une tragédie, et un drame romantique ? ». Je n'ai pas besoin de faire de brouillon, je réponds directement et sans hésitation. Si bien qu'en une heure et demie, ma dissertation est pliée. Il me reste alors une demi-heure à rêvasser. Et bien sûr, mon sujet de rêve, il est toujours le même.

J'imagine à quoi m'attendre aujourd'hui avec Aiden. Où va-t-on aller ? Dans un café, sûrement. Que mangera-t-on ? Je prendrais bien des cookies, ou un bon croissant au beurre avec un gros chocolat chaud. Aujourd'hui je l'invite, c'est sûr. Combien de fois encore allons nous sortir ensemble ? Et où est-ce que cela nous mènera ? Je ne sais pas si je devrais lui demander s'il est hétéro. C'est déplacé.

C'est l'heure de la pause. Je rends ma copie et me presse de sortir. Je sais que je retrouverai Sandy, mais aussi Aiden.

Sandy est déjà en train de fumer, emmitouflée dans une couche incroyable de vêtements. Elle est frigorifiée.

-Meuf, lui dis-je en arrivant à sa hauteur, t'es vraiment trop conne. T'es malade et tu restes dehors à te peler les couilles juste pour fumer.

-Je t'emmerde, j'avais envie de cloper, rétorque-t-elle sèchement.

-Ouais, ben quand tu choperas une pneumonie tu pourras plus fumer, ma belle.

-Sandy ! crient en cœur Baptiste, Julian et Lia.

Ils se jettent tous les trois sur elle et la câlinent. Elle, elle bougonne.

-Les gars j'suis malade, alors si vous voulez pas l'être aussi m'approchez pas.

-On s'en tape, crie Lia, ta touffe nous avait trop manqué !

Pendant que mes amis discutent et chahutent entre eux, je suis encore ailleurs. Je les regarde sans les voir, et souris alors que je n'écoute pas ce qu'ils disent. Je cherche discrètement du regard partout autour de moi si le visage de mes fantasmes est quelque part, pas loin. Mais il n'en n'est rien, Aiden n'est pas là. La déception me sèche un peu la gorge, mais je sais que je le reverrai quand même.

Finalement, vient l'heure d'aller manger. La queue pour rentrer dans le self est interminable, mais nous n'avons pas d'autre choix que de prendre notre mal en patience. De mon côté, j'ai l'impression que je ne ferais qu'attendre toute la journée.

Mais c'était sans compter sur le destin. Alors que nous avons longuement cherché une table où l'on pourrait manger tous ensemble, lorsque je m'assois, mes yeux continuent de chercher, sans espoir, de beaux yeux qui brilleraient dans la pièce. Et ils y arrivent. Du côté où les employés mangent, je le vois, assis, le dos et le cou tendus pour dépasser la palissade qui nous sépare. Tout en mastiquant, Aiden melance un grand sourire - la bouche fermée, évidemment - et ne me lâche pas des yeux. C'est l'une des rares fois où je lui rends son sourire sans me forcer.

Le voir ainsi, se faisant remarquer pour moi, pour que je le vois, ça me rend tout bizarre. Une sensation très étrange mais extrêmement bonne. Je ne peux m'arrêter de sourire, comme si mes joues étaient paralysées.

-Jo, tu te sens bien ou tu es juste devenu psychopathe ? me demande Sandy en me voyant sourire dans mon coin.

Je la regarde, en quittant mon sourire, et lui répond :

-Bien pire.

Elle comprend de suite et se retourne pour voir Aiden.

Alors je le regarde encore. Il parle à ses collègues, rit. Son aisance avec les gens est incroyable. Et son sourire... je ne m'y ferai jamais. Je n'ai envie que d'une chose : le rejoindre, là, maintenant, de suite. Et oui, peut-être de l'embrasser, aussi.

JoWhere stories live. Discover now