.XXVIII. Jour-J

24.2K 1.8K 251
                                    

15 Juin 2016

Ce matin, je me réveille anxieux. Pour ne pas éveiller les soupçons en me levant tous les matins à 07 h 00 en période de vacances – les épreuves anticipées sont passées, donc tous les premières sont en phase de révision de leurs oraux jusqu'en Juillet, sauf moi qui passe mon vrai bac cette semaine –, j'avais demandé à mes parents si je pouvais rester chez Aiden quelques jours. Et aujourd'hui, c'est le jour J, le jour qui lance la semaine la plus décisive de ma vie. Aiden voit mon visage livide et tente de me rassurer :

— Ça va bien se passer, tu verras. T'as bossé comme un malade.

— Ouais, mais dans des circonstances anormales, je réponds. J'ai eu quatre mois pour bosser une année scolaire entière, j'ai jamais fais philo de ma vie, rien de tout ça n'est rassurant !

— Jo, reprend Aiden voyant que je m'emporte, je le pense : ça va bien se passer. Tu as fais pleins d'annales, tu as un super niveau. Fais-toi confiance.

— Que je me fasse confiance ? On dirait que tu ne me connais pas.

Il rit :

— Si je te connais, mais je ne sais pas pourquoi, une partie de moi cherche à t'améliorer. Maintenant, mange.

    Même si je suis à mille lieux d'avoir faim, je me force de manger les tartines qu'Aiden m'a fait, me disant que cela m'apportera les nutriments nécessaires au bon fonctionnement de ma mémoire. À chaque bouchées que je tente d'avaler, c'est comme si ma gorge se resserrait, et je crains à chaque fois de tout vomir sur la table. En face d'Aiden. Je suis dans un tel état d'angoisse que j'en deviens une autre personne. Si je n'ai pas mon bac, je ne pourrais pas partir aux États-Unis avec Aiden et si je suis pris dans l'une des écoles dans lesquelles j'ai postulé, je ne pourrais pas y aller non plus. Pas avant l'année prochaine. Et je ne peux me permettre de me foutre dans une telle situation, après tous les efforts et sacrifices que j'ai fait.

— Tu es prêt ? On y va ? Me demande Aiden.

    Bien entendu, je ne passe pas l'examen dans mon lycée, mais dans un autre établissement qui regroupe des milliers d'élèves de terminales S spécialité SVT de la région toulousaine. Et ce bâtiment se trouve à l'autre bout de la ville, pour simplifier les choses. On doit donc partir relativement tôt pour ne pas se prendre les bouchons.

    En montant dans la voiture d'Aiden, je frissonne tandis que lui allume la radio. Le trajet se fait dans le plus grand silence, ma main moite dans la sienne. Quand je suis dans un tel état, il ne faut pas me parler, je suis très susceptible, et heureusement, Aiden me connaît, donc il en prend compte.

    Quelques minutes plus tard, on arrive devant le lycée, très différent du mien. La boule qui loge dans mon ventre ne cesse de gonfler et de m'étouffer. Je jette des regards dispersés un peu partout pour m'assurer qu'il n'y ait aucun élève, prof, ou surveillant que je pourrais connaître. Heureusement, ce n'est pas le cas. On sort de la voiture, et Aiden me roule une cigarette avant de me la tendre.

— Tu finis à midi, c'est ça ? me demande Aiden.

— Oui.

— Bon, je serai là vers 11 h 30. Tu m'envoies un message quand tu sors.

— OK.

    Le portail s'ouvre. Une foule d'élève d'élève pénètre dans le lycée, se poussant les uns des autres en souhaitant arriver dans les premiers pour voir leurs noms affichés sur les listes qui indiquent les salles dans lesquelles ils se trouvent. Certains, des rares, comme moi, restent en retrait en attendant que la folie se calme, et que le monde se disperse. Une fois que la cour est pratiquement vide, et que la majorité des élèves sont déjà entrés, je me décide à les rejoindre :

— Bon, aller, j'y vais, je dis.

    Aiden me frotte le bras comme pour m'encourager et m'embrasse sur le front.

— J'aime pas de voir comme ça, dit-il, je me sens coupable.

— En même temps, c'est aussi un peu de ta faute si je me retrouve ici. C'est toi qui m'a inscrit.

— Arrête.

— À toute à l'heure.

    Les jambes flageolantes, je m'avance d'un pas sûr vers le portail, sentant le regard d'Aiden dans mon dos. Je m'approche des listes et cherches celle qui correspond à mon nom.

Les lettres se mélangent, les mots deviennent flous. Je survole chaque nom sans les lire, mais sans non plus trouver le mien. Je crains pendant un instant que mon inscription n'est pas été prise en compte, jusqu'à que je vois apparaître les lettres COL en bas de la liste. Mon nom est inscrit tout en dernier, et un mélange de soulagement et d'angoisse me submerge à la lecture de celui-ci.

    Ne connaissant pas du tout le bâtiment, je m'aide des panneaux installés pour l'occasion pour me guider jusqu'à ma salle. Devant, une vingtaine d'élève est adossée au mur, attendant qu'elle ouvre. Au moment où j'arrive, un professeur qui était derrière moi passe devant en me bousculant avant de s'excuser, et se dirige vers la porte de la salle 113 avec un trousseau de clés. Il en entre une dans la serrure et ouvre la porte, nous indiquant que nous pouvons rentrer. Dans la pièce, une vingtaine de tables individuelles est disposées dans la salle dans un agencement bien calculé. Chaque table est éloignée d'un mètre des autres tables situées sur le côtés, devant et/ou derrière. De petites étiquettes y sont scotchées en leur coin supérieur droit. Il s'agit des noms. Tout le monde se met alors à tourner dans la pièce, valsant de table en table telle une chorégraphie improvisée et non-maîtrisée, à la recherche de leur bureau qui leur est attribué par la fameuse étiquette. En suivant l'ordre alphabétique, je ne tarde pas à trouver la mienne. Je me trouve à la toute dernière rangée au fond de la classe, à côté de la fenêtre. Cette place me satisfait, je n'aime pas quand quelqu'un est derrière moi, et je hais être au tout premier rang. La proximité avec le professeur me donne généralement le tournis. Je suis très bien dans mon coin.

    À l'instar des autres candidats, qui sont des lycéens lambda, et non pas dans la même situation que moi, je m'assieds sur ma chaise froide. Devant moi, la célèbre copie double noire et blanche, et deux feuilles roses de brouillon. Mon sac sur mes genoux, je sors ma carte d'identité, ma convocation, et mon matériel.

    Pendant qu'un des deux profs passe dans les rangs pour vérifier les convocations et les pièces d'identité, je pose mes coudes nus sur la table froide, et entremêle mes mains pour poser mon menton sur mes deux pouces. J'ai la bougeotte. J'ai une envie folle de faire un sprint improvisé. Ma jambe droite sautille frénétiquement, ce qui fait trembloter ma table. Je n'ai plus de boule dans mon ventre, mais mon ressentis actuel est bien pire. C'est comme si cette boule avait explosé, diffusant dans tout mon organisme une vague persistante d'angoisse. Malgré la saison, le beau temps de dehors et l'heure qu'il est, je me surprends à frissonner, mélange entre le fait d'être en stresse et d'avoir froid. Malgré ça, je sens que mes aisselles sont trempées. Et l'épreuve n'a pas encore commencé.

    Le professeur arrive à ma table, et prend ma carte et ma convocation, puis compare les informations. Enfin, il me regarde un instant pour vérifier que je suis fidèle à la photo.

    Après une attente interminable, la sonnerie retentit et les profs nous autorisent à retourner les sujets qu'ils venaient tout juste de nous distribuer. À la lecture des différents sujets, un discret rire nerveux m'échappe :

Travailler moins, est-ce vivre mieux ?

Faut-il démontrer pour savoir ?


    Je ne prends même pas la peine de lire le sujet sur l'explication de texte, m'avouant vaincu.

JoWhere stories live. Discover now