.LXX. Sang

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J'ai les poings si crispés qu'une douleur se propage dans mes deux avant-bras. Pourquoi je m'inflige ça ? C'est exactement ce qu'ils veulent faire. Ils veulent me faire du mal, et ils y arrivent, c'est évident. Mais je refuse de leur donner satisfaction. Je dois me ressaisir.

Comme frappé par la foudre, je me relève d'un bond sur mes deux jambes qui me paraissent lourdes. Un gout de fer enrobe l'intérieur de ma bouche, mes joues chauffent et mon cuir-chevelu me pique. J'allume le robinet et fait couler de l'eau fraiche dans mes mains en coupe pour ensuite l'étaler sur mon visage. Pendant une seconde, cela me soulage. Mais ça ne fera pas sortir la boule de rage qui est en train de me bouffer les intestins. Je vais tenir le coup, faire semblant. Ça, je sais le faire. Je n'aborderai pas le sujet des photos, et si quelqu'un m'en parle, je ferai comme si je m'en moquais, peut-être même que j'en plaisanterais. Personne ne mérite que je me mette dans des états pareils.

Quand je sors des toilettes, je constate qu'il y a un peu plus de gens dans le hall, tous me regardant, curieux, sans trop insister. Je comprends alors qu'ils ont entendu le vacarme que j'ai fait quelques minutes plus tôt, je n'ai pas été franchement discret. La tête haute, adoptant une expression faciale des plus normales, je rejoins Bonnie qui me demande aussitôt si tout va bien.

— Bah oui ! je lui réponds comme si cela valait de soi. On a quoi, là ?

— Histoire de l'art, m'annonce-t-elle en soupirant.

Sans plus attendre, nous nous rendons vers l'escalier qui mène à notre salle de cours. Quand on arrive dans le long couloir sombre qui la précède, d'autres élèves attendent que le professeur ouvre la salle. Plus loin, un petit groupe d'étudiants marche en sens inverse, arrivant vers nous. Je reconnais très vite les garçons qui m'avaient coincé dans les toilettes quelques semaines plus tôt, et celui avec lequel je me suis battu me fixe du regard, un sourire en coin, tandis qu'il marche d'un pas assuré dans ma direction. Sans quitter son regard, je me cale contre le mur, me disant qu'il ne fait que passer et qu'il arrêtera son cirque quand il sera à mon niveau.

La noirceur de son regard s'intensifie à mesure qu'il s'approche, ainsi que son rictus. Il arrive finalement à mon niveau, en face de moi. Il ne ralenti pas la cadence, passe et avant qu'il ne me tourne complètement le dos, il détourne le regard. C'est à ce moment que j'entends un discret :

« Cocksucker », comprenez « suceur de queue ».

Et là, c'est comme si l'horloge avait arrêté de tourner. Mon sang se glace et un étau menace de me faire exploser la cervelle.

— Qu'est-ce que tu viens de dire, là ? demandé-je à voix haute.

Les conversations autour de nous se stoppent et les gens me dévisagent. Le garçon à qui je m'adresse s'arrête et se retourne vers moi. Son sourire s'est élargi et est devenu plus malsain. Il revient vers moi, d'un pas tranquille, ce qui m'énerve encore plus. Il approche son visage tout près du mien, je peux sentir son haleine mélangée à une odeur de lessive qui vient de son affreuse chemise rouge à carreaux. Il me matte un instant comme ça, avant d'approcher sa bouche de mon oreille, en prenant soin de frôler sa joue à la mienne. Je peux sentir sa peau imberbe sans défaut glisser contre mon visage.

— Suceur. De. Queue, murmure-t-il dans mon oreille.

Un quart de seconde plus tard, mes bras, comme pris d'une convulsion localisée, finissent sur le buste de ce salaud. J'agrippe fermement le col de sa chemise et le pousse, pour finalement l'attirer de nouveau vers moi. Je vois d'abord la surprise sur son visage, avec ses yeux qui s'ouvrent plus grand qu'ils ne l'auraient dû, puis sa mâchoire se crispe et une veine gonfle au milieu de son front. Je ne le lâche pas et je ne compte pas le lâcher, tout ce que je veux c'est lui exploser le crâne. J'aurais dû le faire plus tôt, car il profite de mon hésitation pour sortir de ma grippe en poussant sur ma poitrine, puis m'assène une droite qui fait tourner le monde autour de moi. J'ai beau être sonné, je ne sens pas grand chose, à part une sensation étrange sur le visage, comme si quelque chose appuyait dessus.

JoWhere stories live. Discover now