.XLI. Contentionum

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Le professeur d'art nous demande à chacun de piocher dans une corbeille qu'il a posé sur son bureau, et nous dit que ce sera notre sujet pour le prochain dessin qu'on devra effectuer. Il y a quatre sujets différents : la peur, le vice, l'amour et la dépression. Je dois avouer que je m'inquiète un tout petit peu pour la santé mentale du prof. Toujours est-il que je pioche le thème qui m'inspirait le moins : l'amour. Pourquoi moi, putain ? Que vais-je pouvoir dessiner ? Un couple qui se tient la main sur un banc ? Une fille au sourire béat ? Je pourrais aussi faire un couple en train de se coudre leur cœurs...

J'ai deux heures pour faire mon dessin. Et il va me falloir deux heures pour savoir quoi faire, c'est pas gagner.

J'ai devant moi une feuille et un crayon. Rien de plus. Le projet doit être minimaliste. Évidemment, pour m'inspirer, je pense à Aiden et ce que je ressens pour lui. Mon crayon par alors tout seul sur la feuille. Un premier trait s'allonge sur le papier, et puis d'autres l'imitent, délimitant des formes encore indiscernables. Mais bientôt le dessin prend forme. Ce que me fait ressentir Aiden m'inspire beaucoup, un peu trop peut-être, mais je fais tout pour rendre le résultat aussi beau que je l'ai dans mon esprit.

Une heure plus tard, mon œuvre a prit forme. Une chute de rein masculine calée entre une paire de jambes recouvrant subtilement les fesses du protagoniste. Le dessin n'est donc centré que sur ces deux parties du corps de deux personnes – dont on devine facilement que ce sont des hommes –, et est censé représenter un acte sexuel. Rien de mieux que le sexe pour montrer la force et la beauté des sentiments.

Alors que je n'étais pas peu fier de mon dessin, le fait de le regarder de plus loin me met un peu mal à l'aise, je n'ai pas trop envie que l'on me prenne pour un obsédé du zizi sexuel. Et c'est là que le professeur commet l'irréparable, me provoquant des envies de meurtres, ou de suicide :

―Très bien, commence-t-il, posez vos crayons c'est terminé. Hé, mademoiselle avec les cheveux bizarres, posez votre pinceau, foutu pour foutu, votre dessin ne s'arrangera pas au dernier moment. Bien, maintenant, je vais vous demander de nous présenter votre projet.

Pardon ?

―Donc, continue-t-il, vous passerez un par un devant la classe bien sûr, et on devra trouver le sujet que vous avez pioché. Laissez-moi vous dire que si votre dessin est bien fait, que les arguments sont bien choisis, c'est bien pour vous, c'est que votre œuvre est réussite.

C'est une vaste blague, je ne peux pas montrer le cul que je viens de dessiner devant toute la classe ! Je pensais que ça ne serait destiné qu'au professeur !

―Et on va tous passer ? demandé-je bêtement tout en m'insultant intérieurement d'avoir fait ça.

―Mais bien sûr mon enfant, à commencer par toi d'ailleurs, t'as une belle gueule d'artiste !

―Mais je...

―Dépêche, on n'a pas la nuit p'tit cœur.

Ce prof, d'un naturel déconcertant et hilarant, que j'aime tant d'habitude, je le hais à cet instant.

Sous les regards impatients des autres étudiants, je me lève de mon bureau tout en plaquant le dessin contre ma poitrine. Arrivé au tableau, dans une ambiance silencieuse, je pose mon dessin sur le présentoir prévu à cet effet, visible à toute la classe. La suite me surprend. Aucune réaction des autres. Tout le monde reste silencieux et se concentre sur mon dessin. C'est agréable d'être enfin entouré de gens matures.

―Alors, vous pensez que votre camarade à pioché quel sujet ?

À l'unisson, tous mes condisciples répondent : « Love ».

JoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant