.X. À l'attaque

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- Il t'as vraiment dis ça ?

Sandy est dans la salle de bain en train de se nettoyer le visage, marqué par de profondes cernes, et une pâleur extrême. Sa voix n'est plus ce qu'elle était non plus.

-Il te drague, c'est sûr, reprend-elle.

-C'est comme ça que tu draguerais un mec, toi ? lui demandé-je de manière rhétorique.

Sandy s'éloigne du miroir, se retourne vers moi, une main sur la hanche, et me regarde d'un air blasé :

-Tu m'as déjà vu draguer un mec, moi ?

-J'en sais rien, Sandy, c'est très bizarre, j'ai pas du tout l'impression qu'il flirte avec moi, ou quoique ce soit d'autre.

-Alors il te drague pas, c'est sûr.

-Sandy !

-Quoi ? Cette réponse non plus te vas pas ? Je sais plusquoi te dire, moi !

-Putain, fais-je, t'es pire que quand t'as tes règles.

-C'est normal, dit-elle en quittant la salle de bain, en plus d'être malade, j'ai mes règles !

Allongé sur mon lit en m'imaginant les meilleures scènes possibles avec Aiden, une légère odeur me parvient aux narines. Celle des oignons fris. Je descends alors et vois mon père aux fourneaux, en train de remuer des dés d'oignons dans une poêle.

-Elle est pas là maman ? demandé-je innocemment.

-Pourquoi tu me demandes ça quand je suis en train de cuisiner ? C'est si choquant que ça de savoir que moi aussi je peux faire de bons plats ?

-Donc, elle n'est pas là.

Damien soupire, s'avouant vaincu.

-Non, dit-il, elle rentrera tard ce soir, ils ont eut une réunion de dernière minute.

-Ah OK. (Machinalement, je regarde le thermostat de la plaque chauffante sur laquelle la poêle, désormais fumante, est reposée. Celui-ci est à son maximum.) Tu veux peut-être qu'on commande des pizzas ?

Mon père se retourne, presque outré.

-Mais non, Jo, je sais cuisiner, merci bien, on n'a pas besoin de commander des pizzas !

-Ah, fais-je calmement, et tu vas faire quoi avec les oignons ?

Ses yeux traduisent l'ignorance. Je refrène un sourire.

-Euh... et bien... des tomates !

-Oh, bien. Et avec les oignons cramés, tu vas faire quoi ?

-Hein ?

Il se retourne brusquement et voit la poêle fumante à souhait avec les oignons maintenant carbonisés. Dans un mouvement de panique, il prend la poêle et la jette dans l'évier. Voyant que cela n'a biensûr aucun effet puisque qu'il ne met pas d'eau dedans, il la reprend et, ne sachant que faire, la jette par la fenêtre. Je n'ai pas pu m'empêcher d'éclater de rire.

Une fois fait, il se retourne vers moi, d'un air grave :

-Le numéro de Roxi Pizza est dans la commode de l'entrée, prends en deux. Des grandes.

Je glousse.

-Tout ça c'est de ta faute, Jo, reprend-il, si tu ne m'avais pas parlé tu ne m'aurais pas déconcentré ! Je sais cuisiner !

-Je sais, mon papa, je t'aime !

Je lui fais un bisou sur la joue et il soupir, faisant face à lavérité : mon père a beaucoup de talents et est bon dans de nombreux domaines. Mais la cuisine n'en fait pas du tout partie.

-Quand il s'agit de pizzas, je ne suis jamais assez malade !

Pour ponctuer sa phrase, Sandy, vêtue d'un peignoir, penche la tête en arrière, fait pénétrer la pointe de sa part de pizza dans sa bouche et croque dedans.

-Tu viens au lycée, demain ? je lui demande.

-Ouais j'pense, répond-elle la bouche pleine et les lèvres graissées. J'ai regardé ce que vous avez fait en maths, et c'est super chaud, je suis larguée. Par contre je viendrai qu'à dix heures.

-Et pourquoi ça ? lui demande mon père.

Sandy peine à avaler son morceau avant de répondre :

-Parce que y'a dissert' en français, et qu'avec la journée de merde que je viens de passer j'ai pas pu la bosser. Donc c'est mort, j'y vais pas.

-Oh putain, merde, la dissertation ! je m'exclame. J'avais complètement zappé !

-Bah oui, t'étais trop occupé à battre des cils avec ton bail ! me taquine Sandy.

-Ah, tu as un copain, Jo ? questionne Damien.

-Non, non pas du tout, elle raconte des mythos.

Sandy me fait les gros yeux et pointe son index sur moi.

-Enfin, je reprends, je fréquente - si on peut dire ça comme ça - un garçon... Mais je ne sais pas grand chose de lui, je sais même pas s'il aime aussi les garçons ! J'ai l'impression qu'on fait juste ami-ami, quoi.

-Je vois, dis Damien. Tu le sauras bien assez tôt de toute façon. Et pour en revenir à cette histoire de français, à la fin de l'année vous passez les épreuves anticipées, et on est à cinq mois de la fameuse date. Donc vous avez intérêt à...

-Papa, sois pas lourd, c'est pas comme si on avait pas seize de moyenne en français, Jo et moi, le coupe Sandy.

Damien lève les mains en signe de paix, comme le fait si souvent Sandy.

-Je dis juste. C'est pour vous que je le dis.

-Elles sont vachement bonnes, ces pizzas, dis-je pour changer desujet.

Ce soir là, je m'endors tard. Dans mon lit, je ne fais que penser à l'après-midi avec Aiden. Je m'imagine avoir de meilleures répliques, je l'imagine en train de me faire rire, encore plus qu'il ne le fait déjà. Et puis j'imagine ce qui pourrait se passer ensuite, une balade, un geste, un câlin, un baiser.

Je sais ce qu'il me reste à faire demain.



JoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant