.LXII. Repos

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Je laisse l'eau tiède tomber et caresser mon visage, savourant ce moment de détente dont j'avais grandement besoin. Je n'écoute plus que le bruit des gouttes s'abattre sur le carrelage de la douche, sous mes pieds. Je ne pense plus à rien d'autre que cette sensation agréable produite par ces perles d'eau. Chaude et douce.

Mais l'arrière de mes pensées reste hanté par cette horrible matinée. Pendant tout ce temps, toutes ces longues heures qui me paraissaient à la fois une éternité d'un côté, et un centième de seconde de l'autre, je me demandais quand est-ce que j'allais m'éveiller de ce cauchemar. Tout me paraît si lointain, pourtant, il y a encore quelques minutes, Frank était assis sur notre canapé, en train de nous expliquer ce que devait faire Aiden, maintenant qu'une rumeur court sur son homosexualité. Et de cette rumeur, j'en suis la raison.

J'ai beau chassé ces images, vouloir arrêter d'y penser juste pour une minutes, elles reviennent sans cesse.

Sous l'eau chaude coulante, je commence à ressentir les effets du décalage horaire, qui rendent mes paupières lourdes. J'ouvre la porte vitrée pour m'extirper de la douche, et commence à m'essuyer le corps.

Aiden a dû entendre l'eau s'arrêter de couler, car il frappe à la porte.

— Jo, je peux entrer ? demande-t-il.

— Non.

— Pourquoi ?

— ... Je fais caca.

Derrière la porte, je l'entends rire. Je ne savais même pas que j'avais dit ça pour rire.

— Jo, il n'y a même pas de toilettes dans la salle de bain, rétorque-il en ouvrant la porte. Oh, tu t'essuies les orteils. C'est mignon. Tes petits orteils.

Au fond de moi, je souris, mais je sens que mon visage reste figé sur cette même expression soucieuse grotesque.

— Jo, souffle Aiden en s'asseyant à mes côtés, ça va aller. Tu es sûr que ça va ? Tu as l'air plus touché que moi.

— C'est juste que... j'ai l'impression que c'est de ma faute. Je te colle tout le temps, j'ai fait cette gaffe avec Stefania l'autre soir et je...

— Hé, hé, hé, m'interrompt-il, ce n'est absolument pas de ta faute, comment tu peux penser une chose pareille ? La vérité finit toujours par se savoir, c'est tout. Tu n'y es pour rien.

Je ne sais pas s'il le pense, s'il veut juste me rassurer, ou s'il a raison. L'article parle de moi avec lui. De moi qui suis « plus jeune ». De moi qui suis « ouvertement gay ». Si je n'avais pas été aussi présent dans sa vie, il n'y aurait pas eu cet article. Peut-être des doutes, mais pas ça.

— J'appréhende un peu le futur, si tu fais ton... « coming-out ». Je hais cette expression.

— Frank ne va pas me virer de l'émission, depuis le début il voulait que je m'assume.

— Je sais. Je ne parle pas de ça. Si tu l'annonces à tout le monde, je vais faire partie de ça. Ça va se répercuter sur notre vie, sur la mienne. Je reprends les cours demain, et je ne peux m'empêcher d'imaginer le regard des autres. Le traitement que je vais recevoir une fois que tout sera dit. Je vais attirer les plus gros vautours, affamés de notoriété, mais aussi du mépris, j'en suis sûr... Et puis...

Je n'arrive pas à finir ma phrase, attaqué par un sanglot que je ravale aussitôt, de telle sorte qu'Aiden n'a rien pu remarquer.

— Et puis quoi ? Jo, dis moi.

— Je n'arrête pas de penser au jour où l'on s'est fait attaqués, toi et moi. (Là, je ne peux empêcher quelques larmes de couler.) Te voir te faire bousiller, avec du sang partout... j'ai cru que tu allais mourir, Aiden ! J'ai cru que j'allais mourir. Imagine, si ça reproduit, encore et toujours ? Il y a des homophobes partout, mais là, ton visage est connu. Tu es connu Ça pourrait dégénérer tellement vite.

Aiden me sert dans ses bras, mouillant son visage sur mes cheveux encore trempés.

— Ça n'arrivera pas, dit-il. Je ne le laisserai pas arriver. Personne ne nous fera encore de mal comme ça. Ça n'arrivera plus, je te le promets.

Je sais très bien qu'Aiden ne peut pas promettre une chose pareille, mais il se veut rassurant. Et de toute façon, même si je ne le voulais pas, ses paroles m'apaisent.

Il me serre un peu plus fort, comme s'il sentait que j'en avais réellement besoin.

— Je vais aller dormir un peu, dis-je. J'en peux plus.

— Moi je vais réfléchir à la manière dont je vais confirmer la rumeur. Je pense faire un message sur mon Twitter, ou Instagram. Tu te rends compte, j'ai déjà reçu l'appel de deux journalistes qui me demandaient si « je ne voulais pas en parler », me confie-t-il en riant. J'ai même pas eu le temps de respirer que ces rapaces veulent tous avoir ma réaction à chaud. Je ne leur ferai pas ce plaisir.

J'ai mal au crâne, aux jambes, et au dos. Je n'ai qu'une seule envie, c'est de dormir. La chambre est emplie par la lumière du soleil, alors je tire juste un peu les rideaux pour m'octroyer plus d'obscurité. Je m'enfonce nu dans les draps qui me font vraiment plaisir à retrouver. Ils ont la douceur du luxe, l'odeur de ma nouvelle vie, et ils se collent parfaitement à mon corps, moulant mes fesses de telle sorte que personne n'y résisterait.

Je ne dis que des conneries quand je suis fatigué.

Alors que mon esprit s'enfonce dans ses propres abysses, que je rêve encore à trois quarts éveillé, la sonnerie de mon téléphone me fait sursauter, interrompant toute image que mon cerveau était en train de créer pour faire danser mon subconscient.

Qui est l'enflure qui m'appelle maintenant ?

C'est Sandy.

Pendant un – court – instant, je me demande si je ne devrais pas raccrocher. Histoire de dormir. Les discussions avec Sandy peuvent durer des heures.

Je réponds.

— Allô ?

— Ouais, mec, putain c'est chaud, me répond sa voix rauque.

— Le feux que t'as entre les cuisses ? Ouais je sais, je t'avais prévenu.

— Ta gueule. J'ai appris pour Aiden. Genre c'est partout sur Twitter et Facebook. J'suis même surprise que t'es pas sur la couverture de Closer, Public et Voici. C'est la merde, non ?

— Putain sérieux ? C'est pas possible... Ne t'en fais pas, ça ne va qu'en s'empirant. Bientôt ça fera la couverture des magasines les plus sombres du monde.

— Péka ? articule-t-elle en mâchant bruyamment la bouche ouverte.

— Aiden a tabassé un... deux paparazzis.

— Quoi ?! hurle-t-elle au téléphone. Mais il est con ou quoi, pourquoi il a fait ça ? Passe-le moi.

Même après tant d'années, sa spontanéité arrive toujours à m'arracher un sourire.

— Non il n'est pas avec moi, là. Je veux dormir. Mais sinon, tout va bien, Aiden va confirmer la rumeur.

— Nickel. Et toi ? Du coup il va t'afficher, nan ?

— Oui, Einstein. Bref, je te rappelle, laisse-moi dormir maintenant. En plus je t'entends mâcher un truc, là, qu'est-ce que tu bouffes encore ?

— Ton âme, connard.

— OK, ben étouffes-toi avec.

Elle rote au moment ou j'appuie sur le petit téléphone rouge pour raccrocher. Mais en fait, j'avais réellement besoin de l'entendre. Si mes paupières n'étaient pas collées entre elles, j'aurais continuer de lui parler. Pour tout lui raconter, dans les moindres détails. Et je sais qu'elle s'inquiète, elle avait besoin que je la rassure.

 J'ai juste le temps d'imaginer les réactions de mes anciens camarades de classe – et des nouveaux aussi d'ailleurs – avant de partir pour un bon moment dans un sommeil sans rêve.

JoWhere stories live. Discover now