.III. Un carton et du papier

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Cela fait une dizaine de minutes que nous sommes devant la salle de Madame Bois, qui n'est toujours pas arrivée. Elle a pourtant l'habitude d'être en avance, et la sonnerie a sonné il y a deux minutes. Chacun commence à espérer au fond de soi qu'elle ne viendra pas, et alors que je devrais en faire de même, je ne peux penser à rien d'autre qu'a ce qui vient de se passer. Je ne sais pas pourquoi cet homme me fait un tel effet. Je n'ai pas peur du jugement d'habitude, mais là, j'ai peur qu'il ait une mauvaise image de moi. Et je ne sais pas pourquoi, car je n'ai rien fait de mal. Mon esprit est troublé.

Finalement, la prof ne vient pas, et au bout d'un quart d'heure quelqu'un demande si personne ne veut aller demander aux ADE si Madame Bois est absente ou juste en retard.

-Moi ! crié-je, juste comme je ne l'aurais pas voulu.

Silence dans le couloir, tous les yeux braqués sur moi.

-Eh bien, Jo, tu es motivé, lance Marvin.

Je ris, gêné, et propose à Sandy de m'accompagner. Le sourire qu'elle me lance me confirme qu'elle a déjà compris d'où me venait tout cet entrain.

Une fois arrivés au rez-de-chaussée, Sandy et moi nous dirigeons vers les bureaux des ADE. Je croise les doigts pour voir le petit nouveau, si charmant, et comme un abruti beaucoup trop sensible, je commence à sentir un boule gonfler dans mon estomac à l'idée de le voir, ou même de lui parler.

-Bonjour.

Il y a quatre surveillants, tous la tête plongée dans les papiers.Quand nous entrons, ils lèvent tous la tête, et je vois le mien nous survoler du regard, Sandy et moi, sans trop nous regarder, et lorsqu'il semble baisser la tête, il repose de nouveau son regard sur moi, rien que sur moi. Sa tête fait un petit sursaut, comme si celle-ci voulait se tourner, mais que lui résistait. En voyant sa réaction, je ne peux m'empêcher de le regarder aussi. Ses yeux, profonds et bruns, sont grands ouverts, comme s'il était surpris de me voir, ou comme s'il me songeait. Il a dû me capter, tout à l'heure.

-Qu'est ce qu'il vous faut ? demande une surveillante.

-Euh... fis-je, en luttant pour détacher mes yeux de lui. Madame Bois n'est toujours pas là, on se demandait si elle allait venir.

À ma grande surprise, c'est le nouveau qui répond.

-Qui ça ?

-Madame Bois, réponds-je.

Il regarde un instant sur l'ordinateur en face de lui.

-Elle est absente pour aujourd'hui et lundi.

Il plonge de nouveaux ses grands yeux dans les miens, attendant ma réponse.

-D'accord, merci, dis-je.

Et puis nous partons, aussi vite que l'on est venus.

-C'est vrai qu'il est plutôt beau. Voire très beau, me lâche discrètement Sandy.

-Oui, tu me l'as déjà dit.

-J'envoie un texto pour leur dire que la prof est pas là.

Pendant qu'elle se met à l'œuvre, je me retourne vers le bureau des surveillants une dernière fois pour voir mon pion. J'ai pu voir que pendant que je ne le voyais pas, il me regardait, car en me retournant, je vois ses yeux se détacher brusquement de moi. Je suis partagé entre la satisfaction et le malaise.

Maintenant qu'on a une heure de libre, on décide tous d'aller quelque part dehors en attendant. On s'assoit alors dans le parc, pas très loin du lycée et on se met par petits groupes pour discuter. Dans la classe, un garçon très gentil, Baptiste, met de la musique et certains se lèvent pour danser. À 9 h 30 du matin. D'un côté je comprends, le vendredi, on est tous détendus, et quand un professeur manque à l'appel, on devient tout excités.

-Alors comment il va mon p'tit gay ?

Marvin m'enlace et me fait un bisou sur la joue. J'ai l'habitude avec lui. Il est hétéro mais très séducteur avec les filles, et s'il peut plaire à un mec, ça ne peut qu'enfler son ego. Mais il ne me plaît pas. Marvin est adorable, et je le vois vraiment comme un ami. Puis il est blond, et je n'aime pas trop les blonds. Mais quand il me fait des bisous, je suis toujours très flatté, même s'il m'en fait souvent. À vrai dire il en fait à tout le monde, il est comme ça, très tactile.

-Ça te dirait un peu de.. ?

Il sort un pochon de sa veste pour me le montrer discrètement.

-Oui ça lui dit, et moi aussi, répond Sandy. J'ai le toncar et la feuille slim, c'est parfait !

-Je t'aime, meuf, répond Marvin en l'embrassant sur la joue.

Alors les deux s'affairent, d'une complicité qui n'existe que dans des moments pareil, à rouler un joint, et je suis le premier à pouvoir tirer dessus.

Très vite, je ne pense plus à rien. Mes muscles sont aussi détendus que possible et je sais que plus rien ne peut m'angoisser à présent. Nous trois, heureux comme des idiots, Marvin, Sandy et moi, nous couchons dans l'herbe et regardons le ciel.

-On voit pas d'étoile, dit Marvin.

De cette réplique fabuleuse, Sandy laisse échapper son rire qui m'amuse tellement. Un rire que seul le bruit de l'air qui sort de ses poumons fait naître. Un rire qui vient du fond de . Un rire un peu rocailleux, et qui ne s'arrête pas. À l'entendre se bidonner ainsi, je m'esclaffe aussi, bruyamment, jusqu'à que mon air se vide et que mon éclat devienne silencieux. Le fou rire me prend, et je me retourne vers Sandy, qui ne peut plus s'arrêter elle aussi. Je me tords de douleur tant mon rire est intense, ce qui me fait encore plus glousser, tandis que Sandy est aussi rouge que The Flash.Elle ne peut plus garder les yeux ouverts, et les plisse en se mordant la lèvre inférieure, et en se tenant le ventre. En nous voyant ainsi, Marvin nous rejoint très vite, et nous étions là, tous les trois, littéralement agonisant de rire, priant pour que ça s'arrête, suppliant pour que ça continue.

Après quelques minutes, nous ne sommes plus les seuls à avoir allumer le calumet de la paix et à rire comme des clefs à molette. Mais la partie est finie.

-Putain, y'a les pions ! crie quelqu'un.

Lorsque l'on se retourne, trois surveillants s'approchent de nous. Mélanie, la plus détestable de tous, Michaël, et mon chouchou.

-Vous arrêtez ça de suite et vous bougez pas ! hurle Mélanie.

Ceux qui se sont fait prendre la main dans le sac - ou plutôt le pétard à la main - sont convoqués chez principal.

-Mais pourquoi ?! demande Baptiste.

-Comment ça, « pourquoi » ? Tu te fais prendre entrain de fumer de l'herbe et tu demandes pourquoi ? dit la pionne. Ben peut-être parce que c'est illégal.

-Mais on n'est même pas dans l'enceinte du lycée, se défend un autre garçon.

-Mais vous êtes juste à côté, et par conséquent on vous voit, et par conséquent on vient ici pour vous punir, et par conséquent,vous serez punis, répond-elle. C'est quoi ton nom déjà ?

-Baptiste Calas.

Je regarde mon surveillant préféré, et je le vois écrire le nom des élèves qui se font prendre. Marvin, Sandy et moi, même si nous n'avons plus de joint depuis au moins un quart d'heure, nous avons toujours les yeux bien rouges.

-Mais pourquoi vous faites ça ? Ça sert à quoi ? demande Sandy.

À ce moment, l'envie de l'étriper me vient à l'esprit. On va se faire chopper à cause d'elle.

-Pour vous protéger, dit Mélanie en commençant à entamer le chemin ,vers le lycée, accompagnée de sept élèves.

-Et parce que tu nous empêches de fumer ici, tu crois que tu vas nous aider à pas fumer chez nous ? répond Sandy. Ton rôle de protectrice est légèrement foiré, Jésus.

Tout le monde rit, et aucun ADE ne répond. Mais le mien se retourne, et me regarde. Comme s'il était surpris que je fasse de même, il m'envoie alors un très furtif sourire pincé, avant de se retourner.





JoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant