Prologue

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Je sortis de la fac à 17 heures bien passées. Le prof avait encore dépassé le temps qui lui était imparti pour nous expliquer en long et en large le système politique de la Corée pendant la période Joseon. Je dois bien avouer que je ne l'avais écouté que d'une oreille distraite. Comme toujours, je comptais compléter mes notes hâtives avec celles de Sarah, une bonne amie, qui les prenait toujours de manière irréprochable.

Il fallait dire que j'avais joué de malchance quand j'avais dû choisir mes modules pour mon premier semestre en histoire. J'ai dû mettre un peu trop de temps à remplir mes souhaits et j'avais fini par devoir intégrer des cours qui ne m'intéressaient pas des masses. C'était le cas de celui sur l'histoire de la Corée. Il y avait quelques parties intéressantes comme tout ce qui avait trait à la culture où à la tradition : les rituels, les vêtements, l'art... Mais la politique, la guerre où l'ordre de succession des rois me faisaient bailler.

Pourtant, je n'étais pas mécontente d'avoir fini en retard. En effet, plus je finissais tard, plus je rentrais tard et moins je voyais mes parents. Depuis quelques temps, c'était la guerre entre eux et il n'y avait pas une journée sans qu'ils se crient dessus ou se jettent des choses au visage. Et si j'avais le malheur d'intervenir ou d'entrer dans leur champ de vision, je m'en prenais aussi plein la figure. Résultat, je trainais le plus possible dehors.

« Je suis sûre que tu n'es pas en train de réciter la liste des rois de Corée dans ta tête. » me taquina Sarah, comme ça faisait un moment que je ne disais rien.

Nous avions quitté l'amphithéâtre ensemble et nous avions l'habitude de faire une partie du trajet toutes les deux puisque nous habitions dans la même direction.

« Pas besoin d'être devin pour ça ! » lui répliquai-je en riant. « C'est assommant. J'espère vite finir le semestre, j'ai eu beaucoup de matières qui ne m'intéressent pas... »

« Je ne comprends pas ce qui ne te plait pas dans ce cours. » souffla Sarah, en roulant des yeux. « Les pays asiatiques ont une culture et une histoire tellement différentes des nôtres, c'est passionnant à découvrir. »

« C'est surtout affreusement compliqué. » me plaignis-je. « Rien qu'aujourd'hui, je n'ai rien compris de ce que le prof disait. A croire qu'ils ont trente mille fonctions et rangs. Je ne sais même pas comment eux pouvaient s'y retrouver. »

Sarah haussa les épaules.

« Peut-être que si tu lisais des romans qui se passent à l'époque Joseon, tu arriverais à intégrer tout ça plus facilement, tout en t'amusant ? Je sais que tu aimes lire. »

« C'est spécifique, quand même. » lui fis-je remarquer.

« Mais ça se trouve. Tiens, regarde. »

Sarah défit une des lanières de son sac à dos pour faire glisser celui-ci vers son ventre. Elle en sortit un livre qu'elle me tendit.

« Le souhait du roi » lus-je.

« C'est pas historique à proprement parler. » me prévint Sarah. « Ça se passe dans un Joseon fictif et ça raconte l'histoire d'un roi et de son entourage avec toutes les luttes intestines pour le pouvoir. Il y a aussi un peu de fantastique. En tout cas, j'ai pas mal assimilé les rôles des différents fonctionnaires grâce à ça. Je te le prête, si tu veux. »

Je hochai la tête. Ce n'était pas une mauvaise idée. Même si je m'embrouillais avec toute la politique coréenne du passé, j'aimais lire, surtout les romans historiques. Sur la Corée, ce serait une première mais s'il y avait du fantastique alors...

« Tu vas voir, je suis sûre que tu vas aimer les personnages de San et Seong Hwa. Ce sont mes préférés. » s'enthousiasma-t-elle.

Ah. Ben oui. Il allait falloir que je fasse avec les noms coréens. Bon. J'avais déjà pris le pli avec les cours, ça ne devrait pas trop me perturber.

Je dus saluer Sarah un peu plus loin car elle était arrivée chez elle et je continuai mon chemin seule. J'avais ralenti le pas, peu pressée de rentrer. Même s'il ne faisait pas chaud, les premiers frimas de l'hiver s'étant annoncés, je décidai de faire un détour par le petit bois qui bordait la ville. Je quittai donc la rue pour m'avancer sous le couvert tout relatif des arbres. L'automne avait presque terminé son œuvre et il ne restait que peu de feuilles sur les branches. Ce n'était probablement pas la meilleure saison pour admirer la forêt mais je n'étais pas là pour ça.

Pourtant, avant aujourd'hui, je ne m'y étais jamais aventurée. Mais ce jour-là, quelque chose m'y poussait. C'était peut-être l'envie de rentrer le plus tard possible où alors le silence réconfortant des lieux qui, un peu plus éloignés de la circulation de la ville, m'enveloppaient d'une douce tranquillité.

J'errai un peu sans but pendant une dizaine de minutes quand j'arrivai dans une sorte de petite clairière qui devait être tout à fait charmante au printemps. Là, le sol de terre battue et la nudité des arbres renvoyaient une impression de désolation froide. En son centre, il y avait un vieux puit surmonté d'un petit toit tout couvert de mousse. Il avait l'air ancien. Je m'approchai un peu pour regarder à l'intérieur.

Je ne sais pas pourquoi tout le monde se sent obligé de faire ça quand il croise un puit et surtout, je ne sais pas pourquoi je m'y suis aussi sentie obligée. Peut-être l'instinct nous force-t-il à vérifier que rien de dangereux ne peut en sortir ? De toute façon, je ne vis rien que du noir.

En me redressant, je remarquai un petit écriteau cloué à l'un des piliers qui soutenait le toit du puit. Les lettres à moitié effacées par le temps et l'humidité indiquaient qu'il s'agissait d'un puit aux souhaits.

J'eus une sorte de rire en pensant que j'en aurais des tonnes à formuler. Je l'aurais certainement fait s'il ne s'agissait pas que de légendes. Et puis, je n'avais même pas de pièces à jeter. Aussi, j'avais lu quelque part qu'il fallait faire attention à ce que l'on souhaitait quand on tombait sur l'un de ces puits parce qu'ils n'exauçaient qu'un seul et unique vœu.

Comme je n'avais rien d'autre à faire, je me mis à réfléchir au vœu que j'aurais pu formuler si le puit avait vraiment été magique. Demander quelque chose de banal aurait été ennuyeux et assez peu utile. Devenir riche ? Trop cliché. Célèbre ? Même chose. Être super intelligente ? Utile mais... J'aurais préféré quelque chose de spécial. Quelque chose que personne d'autre n'aurait. Et qui en même temps réglerait tous mes problèmes.

Encore quelques instants de réflexion et j'y étais. Je savais quel vœu j'aurais formulé. Et puisque je me trouvais là... Je n'avais pas de pièce mais je décidai quand même de confier mon vœu au puit.

« Je voudrais vivre dans un autre univers. »

Le souhait du roiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant