Chapitre 4 / Sans anicroche

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À peine arrivée, Emmanuelle fit comme chez elle. Chaussures sur le paillasson, elle alla s'asseoir dans la petite cuisine en rigolant de ce que lui racontait Lupita.

— Ça te va bien, Nana !

— Pas aussi bien que Lupita ! s'exclama la voix d'Aïko qui venait de passer la tête par la porte entrebâillée. J'ai vu les baskets d'Emma. Je me suis dit que je pouvais taper l'incruste.

Par affinité, la voisine de Lupita était devenue aussi amie avec Emmanuelle. Elles se voyaient souvent toutes les trois, sans qu'aucune jalousie, ni friction n'apparaissent. C'était comme si cette amitié allait de soi.

— De toute façon, tu as la clé ! Alors pas moyen de te fiche dehors ! rigola Lupita en déposant un mug de chocolat chaud devant Emmanuelle qui le huma avec un certain plaisir.

— Je peux en avoir aussi ? demanda Aïko en caressant Pop-corn, qui était venu chercher sa dose de câlinerie de la part de sa voisine préférée.

Lupita déposa un second mug sur la table, qu'elle fit glisser devant la jeune femme habillée comme une veuve corse, avant de se tourner vers la casserole pour se servir à son tour.

— C'est quoi ces fringues ! s'exclama Emmanuelle en détaillant Aïko de la tête aux pieds.

— Ben, je pourrais en dire autant en te regardant ! Tu as failli me crever un œil avec tout ce fluo !

— Et toi, tu vas à un enterrement ?

— Non. C'est ma tenue de camouflage. Je sortais pour aller photographier un site que j'ai repéré il y a quelques jours.

— Tu y vas seule ? demanda Lupita en jetant un œil dehors. Le soir tombait.

—Ouaip.

— Et Freddy ? Il n'est pas libre ?

— On va éviter de parler de ce crétin, si tu veux bien. Bon alors, c'est quoi cette histoire de se faire passer pour la fiancée d'un inconnu ?!

— Aïko ! Freddy et toi, c'est fini ?

— Laisse tomber Freddy, et ne change pas de sujet !

— C'est toi qui changes de sujet !

— Bon, on verra pour Freddy plus tard, Lupita ! Ton histoire est trop marrante ! Raconte en détail !

Lupita s'exécuta donc en faisant des commentaires qui firent rigoler ses deux amies. Puis, brusquement plusieurs alarmes sonores, provoquèrent un sursaut chez les trois jeunes femmes. Emmanuelle se dressa comme un beau diable en regardant sa montrechronomètre-podomètre-cardio-et-tout-un-tas-d'autres-fonctionalités-anxiogènes-et-inutiles.

— Merde ! Faut que j'y aille ! Ce soir, je garde les mômes Shelter !

— Les jumeaux maléfiques ?

— Eux-mêmes !

— Et moi, il faut que j'y ailles aussi, la nuit est tombée, dit Aïko en sortant une jolie montre à gousset d'une poche secrète de son gilet de laine noire.

— Bon... alors, je vais me retrouver encore seule... Je ne vois ce qui pourrait me faire oublier votre absence, laissa tomber Lupita avec une mine faussement triste.

— C'est ça, oui ! Cosette ! Comme si on ignorait à quoi tu passes tout ton temps libre ?! C'est quoi cette fois ? Un jeu de braquage de banque ? Un jeu où tu pourfends des monstres à la chaîne ? Un jeu qui fout les chocottes ?

— Ce soir, c'est chocottes et hurlements sinistres, sourit Lupita.

— J'arriverai probablement jamais à comprendre ça, dit Emmanuelle en secouant sa queue de cheval.

— Mais c'est tant mieux. Elle ne comprend sans doute pas plus ton addiction au sport ou mon irrépressible besoin de photographier des endroits lugubres.

— Ah ! Tu reconnais que tes photos sont lugubres ! s'exclama Lupita en la pointant du doigt.

— Je ne t'entends plus, Lupe. J'entre dans un tunnel, lança Aïko en disparaissant dans le couloir.

— Allez ! Passe une bonne soirée, dit simplement Emmanuelle en la suivant.

— Et bon courage, Emma.

— Merci.

Une fois, la porte refermée, Lupita se tourna vers son chien en souriant.

— Bon, on s'y met, Pop-corn ? Faudrait pas louper l'arrivée des potes... dit-elle en s'installant devant son PC.

L'appartement de Lupita n'était pas très grand, mais il possédait quand même une chambre, une salle de bain, et une cuisine séparée du salon par un demi-mur transformé en comptoir. La chambre était occupée par son lit, qu'elle partageait volontiers avec Pop-corn, et le salon était le royaume incontesté de son occupation principale quand elle ne travaillait pas : son énorme PC gamer.

Elle y jouait de longues heures, mais y faisait aussi de l'informatique pure. Programmation, dépannage ou mise en page, tout était à sa portée. Depuis quelques mois, elle travaillait souvent pour un pote, qui avait monté sa boite d'informatique et proposait ses services aux entreprises pour monter leur réseau interne ou gérer la maintenance du matériel. Les deux derniers contrats qu'elle avait réalisés pour lui, concernaient la sécurisation de données. Ce qui était un peu sa spécialité. Elle traquait les virus, et autres mouchards avec une certaine virtuosité. Ainsi, elle pouvait passer des week-ends entiers à coder ou à jouer, elle aimait les deux de manière égale.

Lupita s'assit devant son écran et appuya sur le bouton d'allumage de la bête, toute à sa joie de faire une méga-partie avec ses potes virtuels.

***

La pluie battait les vitres avec une cadence infernale. Lupita avait entendu Aiko rentrer une heure plus tôt. Juste avant que le déluge ne s'abatte sur Paris. Son amie devait déjà être en train de développer ses photos. Aïko travaillait en argentique et avait transformé la pièce qui aurait dû être une chambre à coucher, en chambre noire. Son lit avait été relégué dans le salon et servait aussi de banquette quand elle recevait ses amies.

Lupita était concentrée sur son écran. En pleine mission d'infiltration, elle maniait les touches avec virtuosité pour que son personnage ne loupe aucune porte qui aurait pu donner accès au couloir dans lequel elle se déplaçait. Il était vital de ne pas se laisser surprendre par l'ennemi, même si, force était de le reconnaître, c'était extrêmement difficile dans ce jeu.

Un de ses alliés se mit à discuter en vocal dans son oreille gauche. Il avait trouvé quelque chose d'intéressant. Il fallait le rejoindre. Lupita fit faire demi-tour à son personnage et tomba nez-à-nez avec un affreux zombie bien dégueu. Elle sursauta en même temps qu'un éclair zébrait la rue à l'extérieur. Puis un roulement grave et sombre finit en claquement sec et sonore, avant que toutes les lumières ne disparaissent et plongent le quartier dans le noir, pendant quelques instants.

L'immeuble étant mal insonorisé, Lupita entendit plusieurs jurons se mêler au sien, avant que la lumière ne revienne. Mais quelque chose de fâcheux s'était produit. Le PC de Lupita ne clignotait plus, n'émettait plus, ni bruit de ventilateur, ni chaleur excessive. Elle se précipita sur sa tour en craignant le pire...

Tout sur LupitaWhere stories live. Discover now