Chapitre 64 / Le réveil de Dieu

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L'épouvantable sifflement de l'aspirateur n'eut pas l'effet escompté. Dieu ne fit que se retourner sans se réveiller. Emmanuelle fut déçue. Mais bon. Une fois sa tache finie, elle passa la serpillière. En attendant que ça sèche, elle but son deuxième café, en pensant à ce qu'elle allait devoir faire pour éliminer toutes ces toxines de son organisme si bien entretenu d'ordinaire.

Emmanuelle ne buvait pas de café. Ou peu. Idem pour l'alcool. Elle ne mangeait pas de sucre frelaté. Ou peu. Et bannissait le gras autant que faire ce peu. Et à chaque écart, elle faisait encore plus de sport. Pas pour garder la ligne, mais pour éliminer le « mal ». Pour elle, « Dieu », ici présent, était le pire exemple de la terre.

Elle attrapa la serviette qu'elle avait prise dans la salle de bain et le seau qu'elle avait rincé pour le remplir d'un fond d'eau. Il était temps de partir. Les filles n'allaient pas tarder à rentrer sans doute. Elle lança un troisième café. Cette fois, pour l'ivrogne. Puis, elle alla s'accroupir près de lui. Alors, avec une délicatesse qu'aucune de ses amies ne lui connaissait, elle entreprit d'humecter le visage de « Dieu » avec un bout de la serviette de bain.

Il eut alors un mouvement inattendu. Il l'attrapa par le cou et la taille, l'enveloppa de ses bras et la colla contre lui sans autre forme de procès. Emmanuelle était désormais couchée contre lui, serrée dans ses bras, le bas du corps à moitié recouvert par son corps à lui, dans l'incapacité de s'extirper seule de cette prise de boa constrictor.

« Ça lui apprendrait à se montrer gentille avec un abruti d'alcoolique ! », se morigéna-t-elle. Le nez dans son cou, Dieu ronflotait tranquillement, tandis qu'elle se mettait à chercher un moyen de le réveiller sans provoquer de réaction violente.

Elle tenait toujours la serviette humide dans l'une de ses mains. Elle tenta un balancement, mais le tissu éponge était trop grand et trop humide pour servir ses intérêts. Elle se mit alors à gigoter comme un lombric, mais stoppa net quand elle sentit l'étreinte se resserrer, et quelque chose se durcir contre sa cuisse. « Merde ! Il bandait, le con ! ».

Bon. Pas moyen ! Il allait falloir utiliser les grands moyens. Tant pis pour lui ! Si jamais il la frappait, il allait en entendre parler ! Emmanuelle inspira profondément avant de se pencher vers l'oreille du dormeur excité.

La jeune femme hurla prodigieusement bien. « Dieu » sursauta et, le visage ahuri de celui qui ne sait plus, ni qui il est, ni où il est, s'écarta d'elle à la vitesse de l'éclair jusqu'à atteindre le fauteuil qu'elle avait pourtant placé contre un mur.

— Bordel de merde ! Putain ! Et qu'est-ce que...

Il venait de se rendre compte de sa trique, monumentale à en juger par la grosseur de son entrejambe qu'Emmanuelle ne se priva pas de regarder. Après tout, elle en était à l'origine, même s'il était peu probable que ce soit à elle qu'il pensait quand s'était arrivé...

— Bordel ! répéta-t-il en dissimulant l'objet du délit avec ses mains. Il se passe quoi, là ?

— Il se passe que vous êtes un sacré emmerdeur, « Dieu » ! répliqua-t-elle en se relevant sans plus le regarder.

— Qu'est-ce que vous foutez chez moi ?

Ah ! Il avait recouvré ses esprits. Bon point.

— Un simple merci aurait suffi. Mais je ne suis pas assez affamée pour attendre la moindre chose de votre part. Alors ciao, se contenta-t-elle de dire avant de se diriger vers la porte-fenêtre.

Comment fut-il sur elle aussi rapidement ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Quoi qu'il en soit, il la retint par le bras au moment où elle allait enjamber la rambarde.

— Vous êtes folle ou quoi ?

— Par où pensez-vous que je suis arrivée ?

— Mais...

— Lâchez-moi, espèce de sombre crétin. Je suis venue vous aider après que vous vous soyez ouvert le bras sur une bouteille cassée et assommé par-dessus le marché. Il ne faudrait pas croire, mais je sais aussi me défendre. Alors si vous ne voulez pas retourner au pays de Morphée grâce à moi, vous devriez me laisser partir.

Face à face, « Dieu » et Emmanuelle se fixait avec une certaine animosité. Le temps des regrets était fini pour elle. Quant à lui, il tentait encore de comprendre ce qui s'était passé après son black-out.

— J'ai fait quelque chose pendant... enfin, pendant que vous me soigniez ?

— Fait quelque chose... hum, sur la fin peut-être, dit-elle en jetant un œil à son entrejambe. Puis elle soupira, et finit avec, Mais vous avez surtout parlé.

— Parlé ? répéta-t-il en palissant.

— D'une certaine Lily. Et d'une Ida aussi.

Sa curiosité de nouveau éveillée, Emmanuelle prêchait pour sa paroisse en le fixant. Elle voulait qu'il lui en dise plus. Il avait desserré son étreinte, et elle aurait pu partir, mais quelque chose la retenait. De nouveau cette expression sur son visage à lui. Cette tristesse infinie.

— Je m'excuse, dit-il finalement en s'éloignant le dos légèrement voûté.

— J'ai fait du café. Ça vous aidera à y voir plus clair. Et j'ai vidé les bouteilles dans l'évier.

— Vidé les bouteilles ?

D'un pas, il fut dans la kitchenette et ouvrit les placards. Totalement dégrisé, il ne put que constater qu'elle avait dit vrai. Il ne restait que les crackers.

— De quel droit...

— Il me semble que je viens de vous sauver la vie.

— N'en faites pas trop ! Hein ! J'ai quoi ? Une éraflure ?! Je me suis effondré, ok ! Mais j'aurais cuvé et me serait réveillé comme...

— Comme à chaque fois ? Vous êtes fumeur et alcoolique ?! Bravo ! Vous avez quoi ? Trente, trente-cinq ans ! Ça promet !

— Mademoiselle parfaite, vous pouvez dégager de mon appart de la manière qu'il vous plaira, et si vous vous rompez le cou, je ne vous pleurerai pas.

— Ça, je m'en doute pas une seule seconde. Mais juste un éclaircissement. Vous croyez sincèrement que votre « Cendrillon » appréciera que vous soyez alcoolique en plus de fumeur. Qu'elle aimera votre manière de faire avec moi !

Emmanuelle avait touché juste. « Dieu » s'était arrêté d'ouvrir les placards à la recherche de ses bouteilles. Il n'avait pas encore songé au frigo et aux bières qui s'y trouvaient. Il respira fort, mais ne dit rien. Elle décida de profiter de son avantage.

— Je ne sais pas quelles sont vos intentions au sujet de mon amie, mais je ne la laisserai pas s'enferrer dans une relation toxique. Quel que soit votre drame personnel, vous n'avez pas le droit d'y entraîner Lupita.

— Je ne veux entraîner personne, finit-il par dire calmement le dos toujours tourné.

— C'est quoi l'entourloupe, alors ?

— Vous ne pourriez pas comprendre.

— Parce que ? Je suis sotte ? Trop jeune ? Une femme ?

— Rien à voir. Parce que c'est compliqué, et que j'ai moi-même du mal à l'expliquer. Ok ! lança-t-il en se retournant, furieux.

Il n'allait pas se laisser emmerder par une gamine, quand même ! Qu'elle foute le camp et qu'on n'en parle plus !

— Ok, dit Emmanuelle en s'asseyant dos à la porte-fenêtre comme chez Lupita. Je vous écoute. Ensuite, je jugerai si je vous tolère ou pas.

Quel crampon, cette gosse ! Pas moyen de s'en débarrasser ! Bon, elle voulait savoir ?! Et bien, elle allait savoir ! Sortez les mouchoirs et les pop-corn...

Gabriel alla s'asseoir lourdement dans son fauteuil dans la pénombre de son salon, tandis que la jeune femme était éclairée par le clair de lune. Il la trouva jolie ainsi, malgré son petit air de mademoiselle « je sais tout ».


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