Chapitre 28 / Face à l'ours

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— Mais c'est Nana ! s'exclama Jung en fixant la photo du dossier affiché sur l'écran de Darius.

— Comment ça, ta nana ? Ne me dis pas qu'elle sort avec toi !? Tu m'avais dit que tu te cherchais une fausse petite amie !?

— Pas ma nana ! Nana tout court ! C'est la caissière de la supérette à qui j'ai demandé de jouer ma petite-amie et qui finalement... Enfin, bref. Ça n'est pas ma nana ! C'est Nana... Enfin, c'est ce que je croyais... Lupita Jones ?! Ce serait son vrai nom ? Mais pourquoi elle nous a dit qu'elle s'appelait Nana ? Et puis, elle avait un badge à ce nom !?

— Tu sais quoi, on va le savoir tout de suite, lâcha Darius la mâchoire serrée en attrapant le téléphone.

À quoi jouait cette Lupita Jones à la fin ! Voilà que Darius se remettait à douter. Et si elle était en réalité la meilleure menteuse qu'il ait jamais connue ? Et si elle les roulait dans la farine depuis le début... Elle se serait rapprochée de Jung avant même la mort de son père, sachant l'importance qu'il avait ? La mort d'Alexander avait ruiné ses plans, alors elle tentait de se rapprocher de lui en lui faisant croire que l'idée ne venait pas d'elle ? Darius commençait à croire qu'il était tombé dans la plus inextricable toile d'araignée qu'il ait jamais connue.

***

Se séparer d'Emma, la veille, sans lui avoir rien dit sur le marché qu'elle avait passé avec Darius Ryker avait fait souffrir Lupita. Emmanuelle était sa meilleure amie depuis si longtemps. Elle avait été de toutes les galères, avait partagé tant de choses avec elle. Elle ne pouvait pas lui cacher quelque chose d'aussi gros. D'autant moins, qu'Emma la surprendrait forcément à s'apprêter pour ces rendez-vous factices. Elles étaient trop souvent chez l'une ou l'autre.

Et Aïko non plus ne pourrait pas être mise à l'écart. À moins de se fâcher avec elle. Et il n'en était pas question. Leur trio fonctionnait bien. Elles s'épaulaient en cas de galère et se soutenaient quand ça tiraillait côté cœur. Lupita avait besoin de ses deux amies, encore plus aujourd'hui où elle venait de mettre les pieds dans une situation qui pourrait lui échapper à tout moment.

Lupita décida donc de leur en parler le soir même autour d'un plat de spaghetti bolo. Ce serait un secret entre elles. De toute façon, ne frayant pas dans les mêmes milieux que les Ryker, les deux jeunes femmes ne pourraient pas faire de bourde. Mais même si ça avait été le cas, Lupita avait confiance en elles.

À peine, Lupita fut-elle sortie de l'ascenseur à l'étage du pôle informatique que Klaus apparut près d'elle.

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire de mission secrète avec Ryker ?

Ah ! Il fallait s'y attendre. Probable que, dès qu'il était arrivé, Kévin avait « bavé » sur le bref échange dont il avait été témoin entre elle et Darius, la veille.

— Tu n'attends pas près de l'ascenseur depuis que tu es arrivé, quand même ?!

— Non. J'ai mis la caméra du hall d'entrée sur mon poste. Tu n'as pas répondu !

— On peut en parler ailleurs. Je te rappelle que personne ne doit savoir, murmura Lupita en prenant le bras de Klaus pour l'entraîner vers une salle de réunion.

Le géant observa le bras de la jeune femme avec incrédulité, avant de s'en défaire avec vivacité. Klaus n'était pas tactile. Klaus ne copinait pas. Klaus n'était l'ami de personne. La jeune femme ne se formalisa pas de son mouvement d'humeur. Elle referma la porte derrière elle et se mit face à son collègue en souriant pour lui expliquer ce qui s'était passé la veille. Bien sûr, elle occulta toute la partie concernant LA PROPOSITION. La porte de la salle s'ouvrit alors qu'elle finissait à peine son petit compte-rendu.

— Ah ! Mlle Jones. M. Ryker veut vous voir dans son bureau. J'imagine que c'est au sujet de notre petit secret ?

Eric Vivier avait entendu ce que Kévin avait colporté le matin même et s'en était inquiété. Responsable d'un pôle où il n'y avait que trois femmes, et plutôt mignonnes de surcroît, il veillait à ce qu'elles soient toujours traitées avec respect. Il veillait également sur les garçons en s'assurant qu'elles ne minaudaient pas sous leur nez. Il fallait trouver un juste milieu. Ce qui, pour le moment, était le cas. En revanche, il n'avait pas pensé aux autres éléments masculins de l'entreprise. Et certainement pas au nouveau patron. Il avait besoin de savoir si tout allait bien pour Lupita.

— Oui, M. Vivier. Il s'agit probablement de ça. J'y vais immédiatement.

— Moi aussi, dit Klaus. J'ai des choses à lui dire.

Le ton employé par l'informaticien inquiéta immédiatement Eric.

— M. Carpentier ? Quelque chose ne va pas ?

— Oui. Le nouveau patron met en péril l'intégrité des serveurs en se comportant comme un abruti.

Le mot « abruti» dans la bouche de son collègue, étonna le chef de pôle. Klaus n'était pas connu pour ses insultes. Il pouvait se comporter brutalement en étant trop direct, mais il n'insultait qu'extrêmement rarement. Eric fronça les sourcils et demanda à Klaus d'être plus précis, ce que dernier fit, sans se faire prier.

— Bien. Allez-y tous les deux. Mlle Jones, insistez sur le fait que vous suivez le dossier en binôme. S'il en appelle un, il appelle aussi l'autre. M. Carpentier, je souhaiterais que vous gardiez votre calme... En fait, je vais venir avec vous. Ce sera mieux.

***

Assis à son bureau, Darius maugréa en voyant le colosse et le chef de pôle qui encadraient Lupita. Il sentit, plus qu'il ne vit, le hoquet de surprise amusé de Jung, debout près de lui.

— Monsieur Vivier ?! Y aurait-il un problème ?

— Bonjour M. Ryker. M. Park. Excusez-nous d'arriver en force, mais j'accompagne mes deux collaborateurs pour éclaircir une situation.

« Qu'avait bien pu dire Lupita Jones pour que ses deux collègues l'accompagnent jusqu'ici ? » pensa aussitôt Ryker. « Avait-elle parlé du marché ? C'était-elle plainte de harcèlement ? ». Merde !

— M. Vivier ?! Pas une situation délicate, j'espère ? dit-il en allant à la pêche.

— Et bien, pas exactement. Vous avez fait venir Mlle Jones hier pour régler des problèmes concernant la mission que vous avez confié au binôme qu'elle forme avec M. Carpentier. Or, ce dernier aurait aimé être tenu au courant. Car, comme je viens de le dire, ils travaillent ensemble.

— Ah ! S'il ne s'agit que de ça, dit Darius en songeant que le colosse barbu était bien susceptible. Vous m'excuserez de n'avoir dérangé que l'un des deux informaticiens. J'ai eu pitié de l'autre, mais sachez bien que la prochaine fois, je l'appellerai en premier.

— Bien. Bien. Alors tout va pour le mieux, dit Vivier. Je vous laisse avec eux, afin de régler ce problème d'intrusion. Klaus va devoir jeter un œil à votre PC ce matin. Est-ce possible ?

— Je comptais travailler dans mon bureau, tenta Darius pour se débarrasser de l'informaticien. Est-ce que ça ne peut pas attendre cet après-midi ? finit-il en le regrettant aussitôt.

Il voyait les jointures des poings serrés de Klaus Carpentier blanchirent dangereusement. Jung aussi les avait vues.

— Nous pouvons avancer la réunion de cet après-midi, M. Ryker, dit-il en montrant quelque chose à son patron.

Il ne s'agissait pas du planning, mais d'un mot écrit rapidement sur un bout du bloc-note que tenait Park quand les informaticiens étaient arrivés. Le mot disait simplement : « laissez-les faire. Je ferai appeler Lupita au RH cet après-midi. »

— Très bien. Alors, je vous laisse le PC. Dois-je rester sur place ?

— Non. Ce ne sera pas nécessaire, dit Klaus dans une grognement qui insinuait qu'il ne valait mieux pas.


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