Chapitre 10 / Craindre l'ombre

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Quand Jung entra dans le bureau de Darius pour y déposer un dossier, il découvrit Deimos assit à la place de son petit-fils, en train de consulter quelque chose sur l'écran d'ordinateur. Si la présence du patriarche était incongrue en ce lieu, elle ne surprit pas le jeune homme, habitué aux méthodes de Deimos. Il se contenta donc d'approcher et de proposer son aide pour trouver l'information que cherchait de manière peu discrète l'ancien patron d'Anthéa Inc.

Même si, sous un air nonchalant, Deimos cacha sa déconvenue d'être découvert alors qu'il pensait pouvoir opérer en toute discrétion - Darius était censé plonger dans une succession de réunions nécessaires à sa compréhension de son nouveau travail-, l'initiative de Park lui déplut fortement.

Il se contenta de fermer les dossiers qu'il avait ouvert tout en refusant l'aide offerte, et sortit comme un seigneur. Il croisa Darius dans le couloir et se fit la remarque qu'il devait absolument s'informer mieux quant au planning de son petit-fils, s'il voulait être efficace.

— Grand-père ? Vous me cherchiez ?

— Oui et non, Darius. Rien d'urgent. Je voulais savoir si tu serais disponible pour venir manger à la maison ce week-end ?

— Maira est en visite à Paris ?

— Non. Tu sais bien qu'elle déteste faire le voyage en avion. Ce serait un déjeuner entre nous.

— Et bien. Je viendrai, grand-père. Je vais prévenir Jung.

— Ce sera sans lui, si tu veux bien.

Darius darda un regard sombre sur le patriarche, mais n'ajouta rien avant de poursuivre sa route jusqu'à son bureau. S'il pouvait être sûr d'une chose concernant ce « déjeuner entre nous », c'est qu'il ne serait pas question de discuter de bagatelle. Darius avait pensé qu'il aurait un peu plus de temps avant d'avoir à contrer les manigances de son grand-père. Manifestement, ce ne serait pas le cas. Deimos avait une idée en tête. Restait à savoir laquelle.

***

— Jung. Que faisait mon grand-père dans mon bureau ?

— Je l'ignore pour le moment. Il n'avait pas dépasser l'arborescence générale du serveur quand je suis entré.

— De toutes façons, il a toujours été un maître dans l'art d'effacer ses traces. Appelle le chef du pôle informatique. Je veux qu'il place un mouchard sur mon PC. Je veux être averti en temps réel quand il est utilisé et ce que l'on y fait.

— Très bien. Je l'appelle immédiatement.

— Jung. Essaye de savoir sur quoi Deimos travaille en ce moment, et quels sont les dossiers qui ont attiré son attention.

— Votre frère m'a transmis une liste...

— Je veux celle qu'il n'a pas transmise.

— Ça risque de me prendre un peu de temps et...

— Tu as tout le temps nécessaire. Je peux me débrouiller seul dans les jours à venir. Cette information est prioritaire. Je dois déjeuner avec mon grand-père ce week-end. Je veux être prêt.

— Je vois. Alors, je te transferts le planning pour demain. Je serai joignable par messagerie.

***

Magnus ne s'étonna qu'à moitié de la demande de Jung. Deimos était en train de placer des pions. Même ici, à New-York, au siège historique de l'entreprise, il le ressentait. Il commençait à peine à débusquer les employés qui, s'il le leur demandait, seraient susceptibles de fournir des informations en sous-main à Deimos.

Magnus ne pouvait pas tout verrouiller, mais il avait confiance en ses chefs de pôles. Il comptait sur eux pour limiter les fuites. À Paris, le tandem Darius et Jung serait efficace, même si Deimos attaquait de front. Restait les bureaux éparpillés dans le monde. Mais là encore, il avait confiance. Son père avait choisi chacun des responsables de ces bureaux, dont les équipes réduites, n'étaient là qu'en appui de la maison mère et de sa filiale française.

Magnus comprenait mieux à présent la phrase que son père aimait lui dire quand ils étaient seuls : « Seule la mort nous libérera de la terreur ». C'était à double sens. Il était évident que les peurs de l'humanité ne disparaissait qu'avec la mort. D'un autre côté, Anthéa et les Ryker ne seraient libérer de Deimos Yannopoulos que le jour de sa mort.

— Tu travailles encore ? demanda Charlotte en passant la tête par l'entrebâillement de la porte.

— Non, ma chérie. J'ai fini.

— Viens te coucher, alors. Tu as l'air si fatigué. On dirait que c'est toi qui porte notre enfant.

— Et toi, qui le porte vraiment, tu es fraîche comme une rose. C'est à se demander où tu trouves toute cette force, malgré le déménagement et l'organisation de notre nouveau foyer ?!

— Je n'ai pas fait grand-chose, en l'occurrence. Ta mère avait déjà tout prévu.

— Est-ce un zeste de reproche que je sens dans cette petite et insignifiante phrase ? demanda Magnus en enlaçant sa femme.

— Elle aurait au moins pu me demander mon avis sur la couleur des peintures ?

— Si tu veux changer quoi que ce soit dans cet appartement, tu peux le faire. J'approuverai.

— Quoi qu'en dise ta mère.

— Quoi qu'en dise ma mère.

— Hum... J'ai des doutes...

— Je n'ai pas la même relation avec ma mère, que toi avec la tienne, Charlotte. Nous ne sommes pas si proches, et ses remarques acerbes ne m'atteignent pas autant que si c'est... que si c'était mon...

— Ton père... Magnus. Je suis tellement désolée. Je sais que tu l'aimais beaucoup.

— Il me manque énormément, ma chérie, c'est vrai. Mais je suis un homme, n'est-ce pas ? Je vais surmonter mon chagrin et avancer. Surtout qu'il y a une petite vie qui va arriver. Je veux être un bon père pour notre enfant, comme l'a été mon propre père. Et même si je doute, je sais que tu seras à mes côtés pour m'aider à rester sur le droit chemin.

— Et vice- et-versa, murmura Charlotte en enfouissant son visage dans le torse de son mari.

Dès le lendemain, elle allait faire venir un décorateur. Elle détestait les choix de sa belle-mère. Elle pouvait être autant en deuil qu'elle le souhaitait, Charlotte ne la laisserait pas s'imposer dans sa vie comme si elle avait la main-mise sur tout.


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