Chapitre 37 / Le triste sire

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— Je crois que je vais me défenestrer si j'entends encore le signal de la messagerie, dit lentement Darius en prenant son smartphone pour la vingt millième fois depuis le début de l'après-midi – Si le chiffre était erroné, c'était son ressenti en tout cas-.

— C'est quoi cette fois ? Il y a des plumes ? Parce que je suis déçu, nous n'avons vu aucune robe à plumes, répondit Jung en souriant.

— Pas de plumes. Ça a l'air d'une robe de veuve. Tu crois qu'elle m'envoie un message.

— Peut-être. J'ai cru comprendre que faire les boutiques n'était pas sa tasse de thé, quand elle est venue me remettre sa bio et prendre la carte de paiement.

— Qu'elle prenne la première robe venue alors, et qu'elle arrête de m'emmerder ! J'ai pas le temps pour ces conneries !

Les deux hommes travaillaient sur un dossier dans l'appartement de Darius. Ils avaient enfin mis la main sur une information intéressante concernant les affaires en cours que Deimos Yannopoulos avait dans le viseur. Mais leur concentration avait été mise à rude épreuve tout au long de l'après-midi à cause des photos envoyées par Lupita Jones pour obtenir l'approbation de son « faux »fiancé quant à ses achats.

— Des conneries que tu as initiées, si je ne m'abuse.

— C'est bon Jung ! Toi-même tu as eu l'idée de recourir au même stratagème.

— Oui, mais moi, je ne m'étais adressé qu'à des femmes pourvues d'une garde-robe complète et acceptable.

— Je te rappelle que tu as fini par lui demander à elle, quand elle était caissière.

— Et Dieu avait d'autres plans pour moi... même si je crois que j'aurais préféré me retrouver avec Mlle Jones à tenter de la rendre présentable, plutôt que d'apprendre que notre père était mort...

— Humpf. Bref. Qu'est-ce que je réponds ? Je ne vois rien... la photo est trop sombre et la robe avec.

— C'est vrai qu'on ne voit pas grand-chose, mais la coupe a l'air bien et la couleur est neutre. Pas originale, mais elle ne pourra pas se louper.

—C'est toi que j'aurais dû envoyer avec elle pour acheter ces foutues robes !

— C'est sûr que j'aurais été de meilleur conseil que toi.

— Quoi ?!

— Tes commentaires étaient limites quand même.

— Celui-là sera bref : « prenez-là ». Elle pourra se passer de moi pour le reste, dit Darius en déposant rageusement son smartphone près de son PC portable.

— Tu devrais te détendre, Darius. Ces derniers jours, tu as été sur les nerfs en permanence. C'est le demi-frère qui te parle, entendons-nous bien.

— Je suis détendu !

— Ah, oui ! C'est manifeste !

Darius soupira en pressant ses doigts sur ses paupières. S'il avait été sur son île, il serait allé nager dans l'océan. Il porta son regard vers la Seine.

— Je sais ce qu'il te faut ! C'est une piscine ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Bon sang ! Je vais te trouver ça, tout de suite ! s'écria Jung après avoir suivi son regard.

— Laisse tomber, Jung ! Je ne vais pas aller à la piscine municipale.

— Qui t'a parlé d'une piscine municipale ? s'exclama Jung en prenant son téléphone.

Il s'était levé pour se diriger vers la fenêtre ouverte. Darius remarqua ses pieds nus et sourit. Cela appela un souvenir des îles. Jung, en bermuda et polo bon chic bon genre, pieds nus sur le pont d'un voilier, perturbé par la vision fort agréable d'une paire de seins offerte aux regards sur le pont d'un autre bateau. Le vent avait tourné, le bateau tanguait, et il s'était retrouvé à l'eau après avoir loupé la manœuvre en cours.

— Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? demanda Jung en raccrochant.

— Toi.

— Ah bon ? J'ai fait quoi ?

— Je repensais aux seins de Sabrina...

— Ah, nom de nom... Ils étaient magnifiques ! Et le reste ! C'est dommage qu'elle ait été mariée.

— Très mariée, même, si je me souviens bien... Ça ne t'a pas empêché de coucher avec elle.

— Ça aurait dû ?

Darius éclata de rire, et Jung pensa qu'il avait au moins réussi à le détendre un peu, et ce qu'il venait de lui dégotter allait lui rendre la banane pour plusieurs jours au moins. Jusqu'à l'épreuve du feu du week-end suivant.

Le profil qu'ils avaient inventé pour Lupita était très simple : hôtesse de l'air, amoureuse des voyages et de sa liberté, fréquente Darius depuis peu, pense qu'il pourrait s'agir du bon, mais n'en est pas suffisamment sûre pour tout laisser tomber pour lui, pas prête à partager sa vie en totalité, ne veut pas d'enfant pour le moment. Jung avait fait mourir ses parents et l'ensemble de sa famille. Il en avait donc fait une orpheline indépendante avec un caractère fort.

La jeune femme avait ri en lisant ce qu'il avait inventé. Plus que lorsqu'il avait fallu réviser la bio de son « petit ami ». Darius avait toujours été très actif et avait fait des milliards de choses. Ils avaient convenu qu'elle n'avait pas besoin de tout connaître. Après tout, il fallait bien garder une part de mystère. Elle s'était donc contentée de bien retenir les cinq dernières années et les particularités familiales, Jung compris.

— Au fait, tu t'es mis d'accord avec elle pour votre rencontre ?

— Un aéroport.

— Lequel ?

— Jung, j'aimerais finir de potasser ce dossier et régler les derniers détails avant que mon grand-père n'opère en sous-main.

— Tu sais qu'il va poser la question. Et d'autres. Il sera suspicieux et il n'est pas né de la dernière pluie.

— Bon. On a décidé l'aéroport d'Hawaï, il y a un an. J'y suis resté en transit une nuit après une petite mission pour mon père. Elle récupérait avant de repartir le lendemain sur un autre vol. Nous nous sommes vus au bar de l'hôtel, et la suite n'appartient qu'à nous.

— Tu as remarqué quoi chez elle ? Qu'est-ce qui a fait qu'elle t'a attiré ?

— Ses yeux.

La réponse de Darius avait fusé spontanément. Ce qui fit sourire Jung. Il avait beau critiquer la jeune femme, pester sur sa personnalité, le second fils Ryker n'était pas totalement insensible à son charme, car malgré sa propension à s'habiller comme un sac, ses lunettes affreuses, ses coiffures improbables, Lupita Jones demeurait inexplicablement attractive.

Certains auraient accusé l'avantage de la jeunesse, mais Darius n'était pas suffisamment âgé lui-même pour faire attention à ce détail. La vitalité, alors ? Peut-être. Lupita, avec ses yeux aussi noirs que ses cheveux, sa peau mordorée, et son visage délicat, dégageait une force inattendue, et une joie qu'elle ne tentait jamais de dissimuler.

Jung l'avait vu inquiète, stressée, mais jamais sombre. Le parfait opposé de Darius qui, avec son physique de gars en pleine santé, ses cheveux blonds et ses yeux clairs, parvenait le tour de force de donner l'impression d'être un triste sire en toute occasion.

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