Chapitre 29 / le début du mensonge

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Lupita n'avait rien dit. Ni quand elle avait aperçu Jung Park, debout près de Ryker, ni quand Klaus s'était montré à la limite du bizarre. Elle avait laissé son patron et son assistant sortir en se concentrant sur le deck que Ryker avait laissé.

Pendant l'heure qui avait suivi, les deux informaticiens s'étaient concentrés sur leur tâche, Klaus s'assurant surtout que tout avait bien été sécurisé par sa collègue, la veille. Il ne lui avait rien dit de particulier, se contentant des grognements habituels, avant de réintégrer le plateau.

Lupita vécut le reste de la matinée dans une sorte de brouillard ouaté qui l'isolait avec ses milliards de questions, dont les réponses étaient parfois si saugrenues qu'elle en aurait pleuré. La jeune femme oscillait sans cesse entre deux états contradictoires.

Le premier, où elle se retrouvait à 8 ans à tenter de garder un secret plus gros qu'elle, qui lui faisait détester cette situation presque autant que la précédente, car la peur d'être découverte la rendait fébrile, instable et lunatique.

Le second, où elle se voyait en jeune femme cynique et désabusée, car, au contraire du premier, elle intégrait le mensonge, le faisait sien étant donné les sommes qu'elle allait toucher pour feindre d'être la petite-amie d'un mec plein aux as.

Elle n'arrivait pas à se décider. L'honnêteté ou l'argent. Il était parfois bien difficile de concilier les deux. Et se retrouver face à ses contradictions ne rendait pas Lupita particulièrement fière d'elle.

Maintenant assise entre Iris et Leia à une table de la cafétéria de l'entreprise, Lupita tentait de manger, toujours écartelée par sa propre indécision.

— Tu as eu trop de chance ! s'exclama soudain Iris en avalant une bouchée de sa salade.

Elle n'en pouvait plus d'attendre pour en parler. Leia était plus circonspecte quant au sujet qu'elle allait aborder.

— Trop de chance de travailler un dimanche ?! tenta Lupita qui savait pertinemment ce qu'évoquait Iris.

— C'est rien ! On travaille tous le week-end ! Mais bon sang ! Tu étais avec lui ! Et toute seule en plus !

— C'était pour bosser, Iris... dit Lupita avec nonchalance en haussant les épaules.

Mentir comme une respiration. Mentir sans rougir ou tressaillir. La jeune femme mâcha avec plus de vigueur que nécessaire sa bouchée de couscous. Elle se demanda brièvement qui, en cuisine, avait eu la main lourde sur le piment. Elle sentait monter la chaleur de sa gorge et de sa bouche. À moins que ce ne soit un effet du mensonge... un effet physique ? « Merde ! » pensa-t-elle en se précipitant sur son verre d'eau.

— Va falloir arrêter de fantasmer Iris, lança Leia en rigolant. On est que des arpettes pour lui. Y'a qu'à le voir arriver le matin. C'est à peine s'il jette un regard aux personnes qui l'entourent... Lupita, je crois que c'est de la mie de pain qu'il faut manger pour atténuer le feu... finit Leia en tendant la corbeille de pain à sa collègue.

— Laisse-moi rêver ! Tout le monde n'a pas un patron aussi sexy, persista Iris, peu touchée par le visage rougi de Lupita, et ses tentatives infructueuses de soulagement.

— Tu le trouves sexy ? s'exclama Lupita malgré elle en mastiquant une grosse bouchée de mie de pain.

— Pas toi ?

Lupita n'avait pas pensé à Darius Ryker en ces termes. Il était pas mal, certes. Même plutôt canon, si elle voulait être clair avec elle-même. Mais il était surtout son patron. Et pas un patron sympa qu'on aurait envie d'aimer. Alors, aller jusqu'à le trouver sexy ne lui était pas venu à l'esprit.

— Ben, pas exactement, se contenta-t-elle de répondre avant de boire pour faire couler.

— Je ne sais pas ce qu'il te faut ! Purée ! Tu m'étonnes que t'es « alone » !

— Iris !

— Ben quoi ! C'est vrai !

Lupita ne voyait pas le rapport entre sa situation de célibataire, et le fait qu'elle ne trouvait pas son patron attractif. D'autant plus que la réflexion venait d'une fille qui le trouvait « sexy » et qui était, elle aussi, célibataire ! N'importe quoi...

— C'est juste que je ne le vois pas en termes de mec séduisant parce que c'est le patron.

— Mais justement !

— Tu regardes trop de séries romantiques, Iris ! s'esclaffa Leia en rigolant de nouveau. Et puis, tout le monde ne court pas, comme toi, après les mecs !

— Je ne cours pas après les mecs !

— Un peu quand même ! Je suis sûre de t'avoir entendu dire que l'assistant du patron était à tomber !

— Ben ça aussi, c'est vrai ! Faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître ! Lupita ! Je suis sûr que lui, tu le trouves mignon !

La jeune femme failli s'étrangler avec sa gorgée d'eau. Elle se retint de dire à Iris qu'elle pouvait y aller franco avec ce Jung Park, puisqu'il cherchait justement une petite amie ! Lupita garda donc le silence, bien consciente que ça ne lui apporterait que des ennuis. Elle en avait suffisamment comme ça ! Puis, elle réfléchit à la probabilité de se voir proposer la même chose par deux hommes liés. Infime. Alors, avec une certaine appréhension, elle entrevit le destin en marche. Mais lequel ? Contrairement à Iris, qui aurait sans doute sauté sur l'occasion pour tenter de séduire l'un des deux hommes, Lupita, elle n'entrevoyait que la catastrophe à venir.

— Lui aussi, il est hors zone, laissa tomber Lupita avec une voix sinistre que ses collègues attribuèrent à sa mésaventure couscoussière.

— Y a-t-il quelqu'un qui ne l'est pas ? demanda gentiment Leia en s'appuyant sur son bras.

— Non... répondit Lupita prise au dépourvu par cette sollicitude.

— C'est pas vrai ! rugit Iris en levant les bras au ciel. Elle est comme eux !

— Comme « eux » ? répéta l'intéressée.

— Oui ! Comme eux ! Klaus, Kévin, Thomas... Tu ne penses qu'à travers ton écran ! En IRL, c'est plus difficile !

Lupita haussa les épaules en s'attaquant à son viennois chocolat. Iris et Leia n'étaient pas assez proches d'elle pour qu'elle entame une conversation de ce genre avec elles.

— Et elle s'en fiche ! continua Iris.

— C'est pas que je m'en fiche, mais j'ai d'autres préoccupations pour le moment.

Inutile de préciser que ces fameuses préoccupations touchaient le patron, son assistant et l'éventualité de sortir de ce bourbier sans y laisser des plumes. Elle devait réfléchir pour s'en sortir gagnante, quoiqu'il arrive.


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