Chapitre 12 / L'informaticienne masquée

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Lupita ne croyait pas particulièrement en dieu, mais elle était prête à bénir tous ceux qui avaient une existence dans la foi des autres. Elle bénissait aussi cet imbécile, qui après avoir mangé du pangolin, avait causé une pandémie mondiale, quelques années auparavant, rendant, du même coup, moins inhabituelle l'utilisation du masque chirurgical... Voilà qui lui assurait un anonymat quasi-total. Elle trouvait son idée particulièrement brillante. Elle était désormais l'informaticienne masquée !

Lunettes à large monture ronde sur le nez, et masque chirurgical sur le bas du visage, vêtement passe-partout, et coiffure soft, Lupita était une autre version d'elle-même. Aïko avait raison, elle était Clark Kent. Un Clark Kent pas balaise, et sans doute moins charismatique, mais elle tenait l'image.

En revanche, Klaus n'avait pas l'air convaincu par son nouveau look. Il la regardait avec un drôle d'air. Genre : « mais qu'est-ce qui te prend, espèce de foldingue ?! ». Elle lui avait pourtant dit qu'elle se sentait un brin fébrile en toussant maladroitement, mais elle ne l'avait pas trompée. Peu importait, tant qu'il ne disait rien de désobligeant devant le patron.

Armés de leur matériel, les deux informaticiens étaient en route pour le bureau du directeur général avec pour mission de sécuriser son PC avec un nouveau protocole et mettre en place une surveillance. Dès que Lupita sortit de l'ascenseur, de la buée s'installa sur ses lunettes, qu'elle déplaça de quelques micromillimètres pour tenter de pallier au problème. Cela s'arrangea, mais ne fit pas disparaître totalement le halo.

— Enlève ton masque, tu es ridicule, lui murmura Klaus en ouvrant la porte du bureau.

— Je suis malade... tu ne veux quand même pas que je contamine le patron ?!

— C'est ça, ouais, t'es malade ! Et moi, je suis doté d'une vision à rayon X, finit-il avant de se présenter au patron qui, depuis son bureau, observait le duo avec intérêt.

Qui ne l'aurait pas fait ? Visuellement, Klaus et Lupita formait un couple des plus inattendus. Lui, véritable montagne humaine avec barbe et cheveux longs, habillé de vêtement militaires recyclés et chaussé de vieille rangers, scrutait le monde environnant de son regard bleu azur assez déroutant. À ses côtés, la version édulcorée et masquée de Lupita semblait encore plus petite et insignifiante.

Sans se poser plus de questions, Darius les accueillit avec toute l'efficacité d'un chef d'entreprise - Ni trop chaleureux, ni trop froid. Un juste milieu propre à sa fonction -, et les laissa opérer sur son PC, en tentant de suivre les explications cryptiques de Klaus, qui ne faisait jamais aucun effort pour rendre son travail limpide aux yeux des néophytes.

En silence, Lupita coordonnait les modifications depuis le deck sans jamais regarder le patron. Ce dernier ne s'en formalisa pas, pensant, à juste titre, que le travail d'informaticien recelait un très grand nombre de personnes peu à l'aise hors de leur territoire naturel, à savoir, seul devant un PC.

Lupita s'activait en tentant de garder sa concentration. Ce qui n'était pas chose facile, compte-tenu de la proximité de l'homme qui aurait pu la virer sur le champ, s'il avait su qui elle était. Bon gré, mal gré, elle synchronisait les informations, et la sécurisation de l'échange de données entre le PC et le deck. Elle s'en sortait plutôt bien, jusqu'à ce que Klaus redresse son immense carcasse et lui demande d'expliquer les procédures concernant le transfert des données.

Elle bugga une demi-seconde avant de se reprendre et de s'approcher de Darius qui n'avait pas remarqué son trouble.

— Alors, vous avez un accès... commença-t-elle avant de se faire couper par l'intéressé.

— Il va falloir parler plus fort, dit Darius, sans animosité cependant.

Lupita s'exécuta sans faillir et se laissa porter par ses explications. Darius écoutait attentivement pour ne rien oublier. Même s'il avait bien dormi, il subissait encore les effets du décalage horaire combiné à la masse de travail qu'il devait gérer. Il n'était pas encore au mieux de sa forme.

Toutefois, la proximité de la jeune femme n'aurait pas dû le troubler, et pourtant, un détail le gênait. Son odeur. Elle portait un parfum qui lui rappelait quelque chose, mais il ne parvenait pas à se remémorer quoi exactement. Une personne ? Un lieu ? Souvenir agréable ? Désagréable ? Un peu des deux, il en était presque sûr.

Obligé de se concentrer sur les explications données par la jeune femme – Enfin, il la pensait jeune, mais n'en savait rien, puisqu'il ne voyait que peu de choses de son visage - , il mit de côté son questionnement, qui ne le menait nulle part, de toute façon.

— C'est bon. Vous avez pigé le truc ? interrompit Klaus brusquement.

— Oui. Je pense avoir « pigé le truc ». Quand je quitte mon bureau, je dois activer ce module, ici. Si mon PC est activé en mon absence, une notification arrive sur mon portable. Je prends le deck et je regarde ici. Si la web cam a été voilée de manière délibérée, je fais ça, et je vois les actions en cours depuis mon PC. Je peux aussi ouvrir une appli ici, qui me montrera le visage de celui qui agit. Je peux prendre des clichés, les stocker. Ce qui me permettra de mettre en difficulté celui ou celle qui cherche à fouiner. Si quelqu'un consulte mes documents sur le serveur depuis un autre poste, je suis averti également. Mais là, j'aurai plus de mal à savoir de qui il s'agit, j'imagine.

— Pas nécessairement. Si le poste utilisé est dans le bâtiment, avec des croisements entre les caméras de sécurité installées dans les couloirs, l'heure d'utilisation, il y a moyen d'avoir une « short list » assez facilement... mais bon, il aurait mieux valu sécuriser le PC de manière personnelle, dit Klaus.

— Pourquoi autant de réticence à me fournir ce matériel ?

— Parce qu'il pourrait y avoir une intrusion dans nos serveurs à partir de ce deck. Il est une porte d'entrée. Même si je l'ai sécurisé au maximum avec vos empreintes bio et tout un système de reconnaissance qui vous est unique, le risque zéro n'existe pas, dit Lupita, se surprenant elle-même.

Elle n'avait pas prévu d'intervenir. Maintenant que les yeux gris du patron la fixaient, elle se sentit rougir. Heureusement qu'elle avait le masque pour dissimuler sa confusion.

— J'imagine que vous allez surveiller l'activité du deck, de toute façon.

— En effet. Mais ça reste une possibilité en plus, pour ceux qui voudraient s'introduire dans les serveurs. Et ils sont nombreux, croyez-moi, lâcha Klaus.

— Oui. J'ai cru comprendre que nous étions souvent sujet à des attaques. Est-ce normal ?

— Oui, si l'on considère l'importance des données stratégiques qui sont stockées sur les serveurs, répondit Klaus en soupirant.

Le colosse chevelu n'avait pas l'habitude de parler autant avec les personnes qui l'entouraient. Sur le plateau, il se contentait souvent d'interjections ou de grognements, dont tout le monde se satisfaisait. Les mots n'avaient d'ailleurs que peu d'importance dans ses rares moments d'élocution néandertalienne. Le ton employé était bien plus décisif, le concernant. Or, en cet instant, Lupita décelait un agacement à peine contenu. Elle devinait qu'il n'allait pas tarder à remballer son matériel et se tirer sans faire plus attention au patron, qui risquait, lui, d'en prendre ombrage.


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