Chapitre 38 / Plan d'urgence

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Lupita jeta un dernier regard à son costume de Onion Knight posé sur un vieux mannequin de couturière, dans un coin de sa chambre. Elle soupira. Les mois de labeur qu'elle avait passé avec un pote à peaufiner certaines pièces auraient dû être récompensés par cette journée de convention et une présentation au concours de cosplay organisé pour l'occasion. Au lieu de ça, elle allait devoir affronter un boss en IRL, et ça ne l'enchantait guère, car contrairement à ses combats virtuels, elle serait seule face à la « bête ».

Pour cela, elle portait la tenue passe-partout de gentille fille sage, assortie à ses escarpins à petits talons et à son sac. Mais même ainsi, elle n'avait pas l'air d'une bourgeoise bien sous tous rapports. Quelque chose clochait. Un truc de taille, si l'on pouvait dire : ses cheveux.

Trop bouclés et définitivement indisciplinés, ils avaient décidé de vivre une vie propre en dehors de la volonté de leur propriétaire et y parvenaient fort bien. Il ne restait qu'une heure à Lupita pour les dompter avant le départ, et elle n'était arrivée à rien jusqu'à présent. Même pas une queue de cheval convenable.

— Je crois que tu n'as pas le choix. Il faut que tu ailles voir, Mme Mendès, laissa tomber Aïko qui était venue à la rescousse pour la soutenir.

Emmanuelle avait été désespérée de ne pas être présente. Sollicitée pour un boulot bien payé comme hôtesse sur un évènement, elle n'avait pas pu refuser. Elle aussi avait besoin d'argent.

— Mais c'est samedi ! Je ne vais pas la déranger un week-end !

Lupita pensait déjà : « Pouvait-elle décemment annuler le rendez-vous pour cause de cheveux incoiffables ? ». Probablement pas.

— Je crois que pour un cas de force majeur comme celui-là, tu peux. Elle comprendra.

***

— Lupita ! Aïko ? Mais que se passe-t-il ? Il faut garder Pop-corn ? s'exclama Santina en ouvrant la porte de l'appartement.

Elle tenait à la main une cuillère en bois et portait une robe jaune et orange à volants à l'encolure et sur l'ourlet, qui lui donnaient un air de fête. Une bonne odeur de cuisine épicée se dégageait de l'appartement.

— Je vous dérange... Je suis désolée... Il ne s'agit pas de Pop-corn, commença Lupita avec une voix misérable.

— Je crois que je sais de quoi il s'agit alors, dit la belle femme aux tresses parfaites, en tendant la main vers la masse bouclée et indomptable de la jeune femme. Qu'est-ce que tu as fait pour qu'ils veuillent autant s'évader de ta tête.

— J'ai d'abord voulu faire un chignon, puis une queue de cheval et...

— Je vois. Rentre. On va s'occuper de ça. Et puis, j'en connais plusieurs qui seront ravis. Depuis que tu as un nouveau travail, tu ne viens plus aussi souvent. Les enfants te regrettent.

Et effectivement, à peine avait-elle fait un pas dans le salon qu'un déluge de petits corps se précipita vers elle.

— Bas les pattes, les mioches ! s'écria Aïko en tentant de faire barrage. Lupita est habillée pour sortir. Elle a un rendez-vous.

— C'est vrai ? demanda Roméo avec une petite voix.

— C'est vrai, mon Roméo, mais c'est pour de faux. Je rends juste service à un ami, répondit Lupita en se mettant à sa hauteur.

— En tout cas, ta jupe, elle est top ! dit alors Estrella qui avait tendu la main pour tâter l'étoffe du vêtement. Elle est trop faite pour danser !

Lupita sourit en s'asseyant sur le tabouret que Jasmina avait apporté sur la demande de sa mère.

— Tu veux quelque chose de sophistiqué ? Ou de naturel ?

— Sophistiqué, répondit Aïko sans une hésitation, alors que les épaules de Lupita tombaient de désespoir.

— Ça n'a pas l'air de t'enchanter ce rendez-vous. Je me trompe ? commença Santina.

— Ce sera juste un mauvais moment à passer. Si ça marche, ça devrait aller mieux ensuite.

— Si tu veux, je t'accompagne, proposa Roméo très sérieux.

— Ah ! Ce serait le pompon qu'elle y aille avec toi, poussin ! s'esclaffa Aïko en se laissant tomber sur le canapé à côté des jumeaux, totalement indifférents à la scène qui se jouait près d'eux.

Ils étaient absorbés par leur jeu, qui consistait à faire passer sous la table basse un train composé d'une locomotive et de plusieurs wagons remplis de Lego et de petits animaux en plastique, et ce, en évitant les obstacles qu'ils avaient disposés un peu partout.

— Santina, vous ne m'avez pas demandé de garder les petits depuis longtemps ?

— Nous nous sommes dit que maintenant que tu avais un vrai travail, on ne pouvait plus t'embêter avec ça.

— Mais...

— Estrella et Jasmina nous cherchent une remplaçante.

— Pas question ! Que j'ai un travail ou non, si je suis disponible, je peux garder les enfants !

— C'est gentil, Lupe.

— Et puis, si elle n'est pas dispo, vous pouvez me demander à moi, ajouta Aïko, toujours affalée sur le canapé. Avec ses vêtements noirs, elle faisait un peu tâche au milieu de toutes les couleurs dont se paraît le salon de la famille Mendès.

Santina lui jeta un regard qui ne disait rien de moins que : « à voir, jeune fille ! Je ne laisse pas ma progéniture adorée à la première venue ! »

— Enfin, c'est vous qui voyez, hein ! rectifia Aïko aussitôt.

La jeune photographe avait beau être l'amie de Lupita, Santina ne lui faisait pas totalement confiance. Elle la trouvait trop étrange et avait peur que ses goûts pour le sinistre et le morbide ne déteignent sur ses enfants, notamment les deux plus jeunes, qui étaient deux petites éponges, capables de retenir une ribambelle de gros mots entendus à l'école, mais incapables de se souvenir comment mettre un pantalon, seuls. Et nous parlons de pantalons avec élastique à la taille !

Au bout d'une demi-heure, Lupita se retrouva avec un tressage complexe mais très classe sur la tête. Quelques boucles judicieusement amadouées venaient légèrement chatouiller ses tempes et apportaient une touche douce à cette coiffure digne d'un salon de coiffure professionnel.

— Whaou, maman ! C'est trop beau ! s'exclamèrent les filles en chœur, tandis que Roméo fixait Lupita d'un air quasi extatique.

— C'est vrai que c'est vraiment super, ajouta Aïko. Je devrais peut-être vous confier mes cheveux un de ces quatre !

Le sourire enthousiaste de Santina et de ses filles lui firent regretter d'avoir envisagé cette hypothèse. Elle se voyait déjà avec une robe multicolore et des tresses en chignons bardés de rubans et d'épingles à paillettes. Aïko frémit à cette idée et se leva d'un bond. Il fallait sortir d'ici au plus vite.

— Tu es prête, je pense, Lupe ! Alors, en route !

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