Chapitre 4 / Milieu hostile

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Une ovation accueillit la fin de l'opération, mais s'éteignit promptement quand Éric Vivier se rendit compte de l'heure.

— Tout le monde sur le pont ! Leia, prenez la tablette de surveillance ! Nous allons être en retard pour la présentation du nouveau PDG ! hurla-t-il en rejoignant son propre bureau pour attraper une veste.

— Le nouveau PDG ? questionna Lupita autour d'elle.

— Il faudrait vraiment que tu ouvres les mails de l'administration, Lupe ! s'exclama Leia, en rejoignant le groupe qui se formait déjà dans le couloir pour prendre les ascenseurs.

— C'est vrai ! Tu n'as pas entendu parler des changements à la tête de l'entreprise ?

— Si, vaguement. Mais je ne savais pas qu'il y avait une présentation...Bon, je m'en vais ! Je suis en repos de toute façon.

— Pas si vite, jeune fille ! lança Vivier en l'attrapant par les épaules. Vous êtes là, Vous venez avec nous.

— Mais ! M.Vivier ! Regardez comment je suis habillée ! Et je suis partie hier avec mes affaires de rechange ! Je n'ai plus rien ici !

— C'est un problème, en effet, répliqua-t-il en s'apercevant de ce que portait sa collègue. Personne pour lui prêter quelque chose qui la rende présentable ? finit-il.

— Pour la rendre présentable ?! Y'a trop de boulot ! s'exclama Kevin, hilare, alors que les autres surenchérissaient sur le côté mignon de sa tenue.

— Ha ! Ha ! Ha ! Kevin ! Très drôle !

— C'est pas grave, M. Vivier. Je verrai la tête du nouveau patron en regardant la vidéo d'entreprise.

— Pas question, MlleJones. Vous devez assister à cette présentation !

— J'étais censée ne pas être là !

— Mlle Jones, vous êtes là, désormais.

—Tiens, prends mon gilet de secours, dit alors Iris en tendant l'incroyable création laineuse que lui avait confectionné sa mère pour les jours où elle aurait froid.

La forme était improbable à force d'être porté et laissé n'importe où. La couleur était indéfinissable tirant entre le gris serpillière et le marron girolle.

—Bon ben, j'y vais comme ça. Je resterai au fond. Personne ne me remarquera, soupira Lupita en enfilant la « chose », prêtée de bon cœur.

—Lupita ! Vous ne pouvez pas porter ça ! On dirait une clocharde zombie ! s'exclama Jade qui fila aussitôt vers son propre bureau pour attraper, comme par magie, une petite veste cintrée noir impeccable.

—Jade ! Mais c'était caché où !

—Qu'importe ! Mettez la et restez dans votre petit coin ! Personne ne vous remarquera.

Éric Vivier eut un doute, qui disparut quand ses yeux se posèrent sur la pendule du plateau. Il fallait y aller tout de suite.

***

D'ordinaire réservé aux séminaires internes ou prêté à des sociétés amies pour des conférences, l'amphithéâtre du bâtiment pouvait contenir jusqu'à deux cent personnes. En cette fin de matinée, il était plein et bourdonnait de discutions.

Éric saluait discrètement toutes les personnes qu'il croisait en descendant vers le bas des marches qui menaient à l'estrade centrale. Des places étaient réservées pour son Pôle, juste devant. Quelles que soient les divers domaines de spécialité des employés d'Anthéa Inc., chacun d'entre eux avait eu à faire, au moins une fois, avec un membre du pôle informatique. Si ce n'était pas pour régler un problème majeur, c'était au moins pour installer ou mettre à jour certaines applications. Sans parler des recherches demandées en urgence. C'était inévitable.

Comme convenu, Lupita s'assit au fond de l'amphithéâtre, sur le bord du banc le plus à gauche de la salle, loin de son équipe. Au premier rang, même avec la veste de Jade sur sa tenue de Cheerleader, elle aurait fait tache. C'était évident. La jeune femme fit un sourire contrit à sa voisine de banc, tailleur ultra chic et chignon de danseuse, qui la regardait avec un air désapprobateur. Évidemment. Elle allait expliquer le pourquoi du comment, quand le reste de l'assemblée se mit à applaudir.

Lupita se focalisa alors sur celui qui venait de monter sur l'estrade : Deimos Yannopoulos, figure emblématique de la société, selon Iris. Même s'il était officiellement à la retraite, le vieil homme au regard sombre, venait plusieurs fois par an à Paris, et ne manquait jamais de passer au siège français de l'entreprise familiale.

Lupita trouvait qu'il portait bien son prénom (Terreur en grec). Cet homme, qui avait dépassé les quatre-vingt ans, imposait encore son autorité sur ceux qui l'entouraient. Au moins physiquement. Pas très grand, mais avec une carrure athlétique, on le sentait encore prêt à bondir. L'œil vif, aux aguets, il pouvait vous clouer sur place d'un seul regard, et détruire une carrière dans l'entreprise d'une simple phrase. Ça n'était pas un homme qu'il fallait contrarier

Lupita sentit son dos se voûter naturellement quand Deimos parcourut l'assemblée des yeux, avant de prononcer son discours d'introduction du nouveau directeur général. Puis, elle se convainquit que de sa position, il était peu probable qu'il voit quoique ce soit de sa personne, sinon ses cheveux peut-être. Et personne n'auraient rien eu à dire de ses cheveux. Ils étaient coiffés impeccablement pour une fois.

Lupita possédait une nature capillaire assez étonnante. Noir profond, très frisés, mais pas jusqu'à être crépus, ses cheveux lui menaient souvent la vie dure. Mais pour le flashmob, elle s'était fait faire par sa voisine du dessous, une maman aux origines afro-caribéennes revendiquées, de fines tresses qui striaient son crâne jusqu'à former sur l'arrière de la tête un beau puff éclatant de vitalité. Ce halo foisonnant accentuait la finesse du visage et du cou de la jeune femme. Cela lui donnait l'impression de s'élancer vers le ciel. Sensation inhabituelle pour elle qui était plutôt petite (160 cm en grattant un peu).

Elle se détendit donc en écoutant distraitement les paroles de Deimos concernant le nouveau venue et la continuité de la politique de l'entreprise. Les applaudissements reprirent, et elle les accompagna bien volontiers, jusqu'à ce qu'elle voit qui entrait sur scène.

Là, ses mains cessèrent toute activité d'encouragement et retombèrent lourdement sur ses genoux. Telle une gazelle apercevant un prédateur au point d'eau, la jeune femme n'avait qu'une idée à l'esprit : Il fallait fuir et dans les plus brefs délais.

***

Darius entra sous les applaudissements de la salle. Jung resta à la frange du rideau qui délimitait les bas-côtés. Allure discrète et costume sobre, le demi-frère s'annonçait comme l'homme de l'ombre, l'assistant. Deimos accueillit son petit-fils avec une cordialité toute calculée, avant de le laisser faire face à ses employés. Placé près de Jung, le patriarche à la retraite, s'adressa à lui à voix basse.

— Je vois que tu n'as pas perdu de temps, Jung. Tu pouvais bien me le laisser un jour ou deux.

— M. Magnus Ryker me voulait à ses côtés dès le premier jour, répondit le jeune homme sans se départir de son sang-froid.

— Je vois.

— Pardon ?

— Ils n'ont pas confiance en moi.

— Ça n'a rien à voir avec ça, je vous assure, M. Yannopoulos.

— Vraiment ? Pourquoi je ne te crois pas ?

— Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c'est que Magnus a conscience du sacrifice consenti par Darius, et qu'il voulait alléger son fardeau.

— En t'en confiant une partie...

— En me plaçant ici pour l'assister. Je ne suis responsable de rien.

— À voir, Jung. Mais permets-moi de te rappeler que tu n'es ni un Yannopoulos, ni un Ryker, finit par dire Deimos avec un regard dur pour le jeune homme.

—Ça, je ne risque pas de l'oublier, répliqua Jung d'une voix froide, mais sans quitter sa posture.

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