Chapitre 39 / Sabotender

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Darius avait donné rendez-vous à Lupita dans un café à quelques rues du restaurant où Deimos avait fait une réservation, afin qu'ils arrivent ensemble et se coordonnent. Constatant qu'elle n'était pas à l'intérieur, il se positionna au coin de l'établissement pour l'attendre. Si elle arrivait en retard, il faudrait filer aussitôt. Inutile de commander un café.

Au bout d'une minute ou deux à consulter ses messages, il fut intrigué par des cris provenant du magasin qui jouxtait le café, dont les grandes portes vitrées, largement ouvertes, laissaient se déployer le brouhaha ambiant, mêlé de cliquetis et de musiques acidulées et survitaminées. Une salle de jeux vidéo. Ça faisait longtemps qu'il n'en avait pas vu. Il fallait croire que c'était de nouveau à la mode.

Il sourit et s'intéressa à un attroupement autour d'une machine où un joueur, manifestement doué, était en train de pulvériser un record sous les exclamations enthousiastes d'une bonne dizaine de jeunes.

Par pure curiosité, Darius s'avança pour voir à quel jeu ça jouait exactement : Street fighter. Il se remémora immédiatement les parties endiablées avec Jung et Magnus, durant lesquels ils hurlaient comme des sauvages et faisaient fuir tout le monde. Ce souvenir le fit sourire encore plus largement. Fixant l'écran, il s'immergea comme les autres dans cette partie qui ne semblait pas vouloir finir, les combats s'enchaînant les uns après les autres. Il frémit comme les autres aux coups et déboires des personnages. Il se prit aussi à rire comme les autres. Puis le joueur acheva le tournoi avec un nombre de points incalculables et marqua son nom de joueur pour marquer le record : Sabotender. Drôle de pseudo... mais ils l'étaient tous, relevant chacun d'un élément ou d'un souvenir de joueur.

— Trop classe,madame ! J'aimerais trop avoir une mère comme vous !

— Tu m'appelles encore madame, et ta vraie mère va perdre un enfant !

Des éclats de rires autour ponctuèrent ce court dialogue, qui fit immédiatement tiquer Darius. Il s'avança un peu plus, écartant même deux ou trois jeunes qui, prêts à répliquer vertement, fermèrent immédiatement leur bouche en le voyant. L'un d'eux osa tout de même un :« Voilà le daron, maintenant ! » qui déclencha encore plus de rires. Le joueur ou plutôt la joueuse se tourna alors vers le nouveau venu, et pâlit immédiatement en se redressant comme si elle avait été prise en flag d'avachissement sur une chaise.

— Mlle Jones ?

— M.Ryker...

Darius fixait Lupita avec stupéfaction. Au-delà du fait qu'il la surprenait en train de pulvériser des records dans une salle de jeu, environnée d'une cour d'ado boutonneux, louchant sur la minuscule parcelle de peau que l'entrebâillement du haut de son chemisier laissait voir, il la trouva particulièrement attirante.

Maquillée, coiffée avec soin, et vêtue de la sorte, elle était méconnaissable. Il se félicita intérieurement d'avoir fait le bon choix, comme s'il avait réinventé la femme à lui seul. En tout cas, il ne regrettait pas de l'avoir choisie elle, plutôt qu'une pro du mensonge. La jeune femme avait une beauté naturelle bien moins apprêtée que ne l'aurait été celle d'une comédienne ou d'une mannequin.

— Je crois que nous devrions sortir.

— Oui. Oui. En effet. Est-ce que nous sommes en retard ?

— Non. Pas encore, mais nous devons... discuter, finit Darius en jetant un regard entendu aux quelques jeunes restés aux alentours pour voir ce qui allait se passer.

Ils n'avaient eu aucun mal à reconnaître en l'attitude de Lupita, celle qu'ils avaient eux-mêmes, quand l'un de leurs parents les surprenait en train de faire une connerie. Ils s'attendaient donc à du lourd. La jeune femme n'avait plus l'air d'une « madame », mais plutôt d'une fille de leur âge qui aurait piqué les fringues de sa mère. Néanmoins, ils furent déçus quand ils virent Darius entraîner tranquillement Lupita à l'extérieur sans élever la voix. Les adultes étaient toujours si décevants.

— Je suis désolée, embraya Lupita aussitôt arrivée dans la rue, mais je suis arrivée très en avance et j'étais nerveuse...

— Alors, pour vous détendre, vous êtes allée casser des gueules...

Lupita jeta un regard surpris à Darius. Il ne semblait pas en colère. Elle sentit la tension qui lui avait enserré la cage thoracique s'évanouir aussitôt.

— Bien. Passons aux choses sérieuses. Il faut que je vous donne ceci pour compléter votre... déguisement, dit-il en lui tendant une petite boite.

Lupita l'ouvrit aussitôt pour découvrir un délicat anneaux d'or surmonté de quelques minuscules pierres. C'est Jung qui avait pensé au bijou en voyant les dépenses faites par Lupita le jour de sa virée shopping. C'était le seul élément qui n'y figurait pas.

Darius avait pensé que la jeune femme sourirait, ou même s'enthousiasmerait devant la bague, mais Lupita se contenta de la prendre et de la mettre à un doigt sans interprétation. C'est à dire à aucun des annulaires. Elle choisit l'index. Ça tombait bien, elle était un peu grande.

Darius fut contrarié du peu de cas que la jeune femme faisait du cadeau, mais n'en dit rien, car il se trouva con. Lupita était sa partenaire dans le mensonge, pas sa vraie petite amie ! Et vu comme elle détestait faire du shopping, il était peu probable qu'elle s'extasie devant des bijoux quels qu'ils soient. Il cessa de sourire et se mit en marche en lui montrant le chemin.

— Il va falloir accorder quelques détails de dernières minutes, Mlle Jones, dit-il sérieusement.

— Comme s'appeler par nos prénoms ?

Darius marqua un temps d'arrêt pour la fixer une seconde, le visage fermé, puis reprit sa marche.

— Ou tenter de marcher du même pas, lança-t-elle encore avec l'air tout à fait sérieuse.

— Vous avez raison, Lupita, dit-il en ralentissant, ce qui permis à la jeune femme de se mettre à sa hauteur.

— Merci, Darius. Y-avait-il d'autres détails à mettre au point ?

— Vous avez révisé les dates et la chronologie ?

— Et vous ? répondit-elle du tac-au-tac avec un brin d'agacement dans la voix.

Qu'est-ce qu'il croyait ? Qu'elle venait les mains dans les poches ?! Ah ! Non ! Elle n'avait pas de poche de toute manière ! Juste cette fichue jupe qui l'avait obligée à se raser les jambes et à mettre une paire de collants qu'elle trouvait particulièrement inconfortable. Lui, n'avait pas ce genre de problème. Il avait enfilé un costume trois pièces qui lui allait très bien, mais pour lequel il n'avait aucun effort à faire. elle se força à repenser à la prime qu'il lui donnerait pour retrouver son calme.

— Nous arrivons. Il n'attaquera pas frontalement, mais attendez-vous à des questions insidieuses. Vous êtes prête ?

— Je suis aussi prête que peut l'être une fille qui va mentir à un pro de l'information.

Darius ne put retenir un bref sourire. Elle ne perdait pas son mordant même en situation de stress intense. On pouvait s'en réjouir, car il était probable qu'elle en ait besoin durant l'heure qui allait venir.

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