Chapitre 69 / Frôler le drame

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Darius avait nagé suffisamment loin pour sentir le danger autour de lui. L'immensité mouvante, secrète et imprévisible. La force et la sauvagerie. Il plongea deux ou trois fois pour tenter de voir quelque chose dans cette mer dont les eaux sombres ne révélaient rien de ses mystères. Il commença à revenir vers la plage en respectant son rythme. Il était bien. Il retrouvait la sérénité perdue pendant le trajet. Il recommençait à respirer.

Son regard se porta sur l'horizon terrestre sans appréhension. Il vit Jung, Emma et Aïko en train de jouer au bord de l'eau. Le chien n'osait pas affronter les vagues pour les rejoindre. Il faisait des va et vient ridicules en jappant d'excitation. D'abord, il cru que Lupita nageait et il la chercha autour de lui. Puis, son regard fut attiré par une silhouette solitaire assise en tailleur sur le sable, qui semblait absorbée par... un écran ! Elle avait apporté un ordi ?!

Instinctivement, il se mit à accélérer son allure. Il sentait une colère sourde monter en lui. Si elle n'avait pas envie de venir, elle aurait dû le dire ! Il serait parti avec Jung, seuls, et n'aurait pas eu à supporter les jacassements des trois amies, et cet insupportable chien, qui avait décrété qu'il était son ami pour la vie et ne le lâchait pas d'un pouce quand il était sur la terre ferme.

***

— Lupe ! On va se chercher de quoi manger et boire au resto là-bas. Tu viens avec nous ? demanda Aïko en se séchant rapidement pour enfiler son tee-shirt, tandis que Jung en faisait autant.

— Non. Je surveille les affaires, répondit l'intéressée le nez dans son écran. Tu peux me prendre de l'eau fraîche ?

— Ok. À toute...

— Pop attend Darius, manifestement. Je crois qu'il a décidé qu'il l'aimait bien, ajouta Emma en rejoignant le couple prêt à partir.

Lupita leva le visage pour voir où était exactement son chien. Elle vit alors Darius presque totalement hors de l'eau, et Pop qui lui faisait la fête.

— Quel traître celui-là, marmonna Lupita avant de se replonger dans son article sur les premiers essais d'un jeu dont elle attendait la sortie.

Elle n'eut le temps de lire que quelques lignes avant qu'une main ferme ne lui prenne son téléphone et ne le balance sans précaution sur les serviettes.

— Hé ! Ça va pas, non ?!

— Vous êtes à la plage ! Alors, allez-vous baigner, bon sang ! s'écria Darius debout devant elle.

Il avait retiré le haut de sa combi qui tombait sur ses hanches, découvrant son corps sculpté par la natation. Et le cerveau de Lupita bugua.

— Je ne peux pas ! J'ai pas de maillot !

— Mais on s'en fout de ça ! Allez, hop à l'eau ! décréta Darius en attrapant la jeune femme à bras le corps pour la poser sans délicatesse sur son épaule, comme un homme de Cro-Magnon, un morceau de gibier.

— Mais lâchez-moi ! Vous êtes dingue, ou quoi ! Vous aviez dit que l'on pouvait faire ce qu'on voulait, qu'il faudrait juste faire des photos !

— Vous n'avez pas fait trois heures de bagnole pour rester le cul sur le sable à regarder un écran !

***

Il allait la mettre à l'eau ! Il allait la mettre à l'eau de force, cet abruti ! Lupita sentait la peur monter à vitesse grand V. Et cette peur était si grande qu'elle la tétanisa, lui ferma sa bouche et la rendit apathique, comme étrangère à son propre corps.

Elle entendait de plus en plus proche le bruit caractéristique du ressac qui se mêlait aux aboiements de Pop. Elle vit le sable humide et sombre, puis l'eau. L'eau dans laquelle entrait sans peur, Darius . L'eau qui montait le long du corps de cet homme qui ne comprenait pas, qui n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était en train de faire. Mais qu'elle était bête ! Pourquoi avait-elle dit qu'elle n'avait pas de maillot ?! Pourquoi ne pas lui avoir dit qu'elle avait peur, qu'elle était terrifiée ? Parce qu'elle en avait un peu honte, sans doute.

***

Emmanuelle s'était retournée, plus par hasard que par instinct, mais ce qu'elle vit la fit crier.

— Quel con ! Bordel ! Aïko !

La jeune photographe qui se tenait penchée vers la vitre du vendeur de sandwich releva la tête distraitement, malgré l'urgence qui pointait dans la voix de son amie.

— Qu'est-ce que... Merde !

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Jung en se tournant à son tour.

— Il y a que ton connard de frère va nous noyer notre Lupita ! hurla Aïko en s'élançant.

— On est trop loin, murmura Emma sans bouger.

C'est alors qu'elle remarqua un petit boulet de canon qui traversait la plage aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient. Roméo Mendès n'allait pas laisser cet idiot d'adulte lui noyer sa Lupita.

***

La famille Mendès extrayait encore son barda du coffre plein de la voiture, quand Roméo, sans un mot, s'était mis à courir vers le rivage. Aucun des parents, ni des autres enfants n'avait pu anticiper son geste et le retenir. Sans comprendre ce qui animait ce moment de folie, Jasmina se mit aussitôt en tête de le ramener, puisqu'elle en avait la charge sur le chemin de l'école d'habitude. Elle partit donc à sa suite.

Évidemment, devant le spectacle fort réjouissant de cette poursuite, Pablo et Julio échappèrent à leur mère pour suivre les deux grands. Estrella partit au quart de tour pour les empêcher de faire n'importe quoi, Santina sur ses talons, le prénom de chacun de ses enfants aux lèvres. Javier se retrouva seul avec la montagne de sacs nécessaires à une escapade en famille, même de quelques heures.

***

Un sourire carnassier aux lèvres, Darius bascula Lupita dans ses bras, prêt à la balancer dans l'eau. Instinctivement, la jeune femme avait accroché ses bras autour de son cou avec une telle force qu'il hésita une seconde en la regardant. Il remarqua alors qu'elle était blême. Son regard sombre si expressif d'ordinaire était éteint et ses lèvres ne formaient plus qu'une mince ligne presque bleue.

— Mlle Jones ?

— Ne me jeter pas ! S'il vous plaît ! Ne me jetez pas ! murmura-t-elle avec une voix étranglée par la terreur, les yeux fixés sur la masse mouvante prête à l'engloutir.

Darius recula alors d'un pas, puis de deux. Une vague vint le percuter alors qu'il était en mouvement. Déséquilibré par le corps crispé de Lupita, il vacilla, et avant qu'il ne puisse se rétablir complètement, un long gémissement de terreur s'éleva de la gorge de sa prisonnière.

L'eau avait réussi à atteindre la jeune femme, mouillant son pantalon jusqu'à la taille. Darius fit encore quelques pas de plus pour atteindre la plage où il déposa une Lupita complètement atone sur le sable humide. Elle serra aussitôt ses jambes contre elle avec force, avec un léger mouvement de ballancier.

— Pourquoi ne pas m'avoir dit que vous aviez peur de l'eau ? lui murmura-t-il en la frictionnant pour qu'elle se ressaisisse.

Il était en colère contre lui-même, rêvait de pouvoir revenir en arrière. Il ne cherchait plus qu'un moyen d'apaiser la jeune femme. Il s'en voulait tant. Il ne voulait pas qu'elle lui en veuille. Il voulait se faire pardonner. Il voulait la serrer contre lui. Mais quel con, il pouvait être parfois !


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