Chapitre 23/ Toujours sur le pont

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Lupita sortit du premier ascenseur en fermant son téléphone et se retrouva devant le plateau désert. C'était étrange. Quelqu'un devait forcément se trouver là. L'astreinte concernait tous les membres du pôle à tour de rôle.

Elle avança avec étonnement en cherchant des yeux un collègue. Puis, elle se mit à vérifier l'appel que Vivier lui avait passé. Elle n'avait pas décroché, et supposant qu'il s'agissait d'une alerte, elle n'avait pas rappelé. Elle s'était juste fendue d'un message pour prévenir de son arrivée.

Aucun message de la part de son chef. Merde. Elle s'était trompée ! Vivier aurait fait une fausse manip avec son téléphone ? Mais dans ce cas, il l'aurait rappelé en voyant son message à elle... À moins que ce ne soit un de ses gamins qui ait joué avec son portable ? Merde ! Que devait-elle faire ?

Le plateau était calme. Seuls les écrans de veille des ordinateurs perçaient la pénombre de lueurs changeantes. Elle était en pleine réflexion quand un bruit dans son dos la fit sursauter.

— Lupita ? Putain ! Tu m'as foutu une trouille bleue ! s'écria Kévin, une tasse dans une main l'autre tenant une cuillère.

— Et moi donc ! J'ai cru qu'il n'y avait personne ?!

— Ben si, y'a moi. C'était mon tour. Mais toi qu'est-ce que tu fiches ici un dimanche ? demanda Kévin avec un petit air suspicieux.

Ça n'avait jamais été le grand amour entre eux. Lupita avait battu son collègue sur un jeu en réseau, et il ne le digérait pas. D'autant qu'elle lui refusait une revanche. Pas folle, Lupita savait très bien qu'elle avait eu un gros coup de chance. Elle préférait rester sur une victoire.

— J'ai reçu un appel de Vivier. J'ai pensé qu'il fallait que je rapplique, mais je crois maintenant qu'il a juste fait une fausse manip.

— Vivier, faire une fausse manip avec son téléphone ? Ça se voit que tu n'es là que depuis peu de temps. Éric ne fait jamais de fausse manip.

— Alors, c'est l'un de ses gosses...

— Nop. Ça non plus, ça n'arrive pas. Tu es sûr que c'était Vivier ?

— Ben oui... regarde, lâcha Lupita en tendant son téléphone à Kévin.

Le jeune homme posa sa tasse et s'empara de l'appareil.

— C'est bizarre.L'appel venait bien de Vivier, mais de son poste ici. Pas de son portable.

— Hein ! s'écria Lupita en reprenant son téléphone, contrite de n'avoir pas remarqué elle-même cette anomalie.

Les deux informaticiens se mirent à regarder le bureau d'Éric Vivier. Il se trouvait à la marge du plateau entre une salle de réunion vitrée et une salle serveur fermée à double tour. Quand il était là, la porte était toujours ouverte. En ce dimanche matin, la porte était fermée.

— Tu n'as vu personne, ce matin ? demanda Lupita.

— Bien sûr que non. Qui viendrait bosser un dimanche de son plein gré ?

— Moi, répondit une voix derrière eux, faisant du même coup, sursauter les deux jeunes gens.

Darius Ryker se tenait à l'entrée du plateau. Debout, les bras croisés, il fixait Lupita qui se sentit rougir. Elle compta sur la pénombre du lieu et sa peau mate pour dissimuler son état de confusion à son patron. Elle espérait aussi que, de là où il se tenait, il ne voyait pas distinctement.

— M.Ryker ?

— Lui-même, M.Albertini.

— Excusez-moi, je...

C'était la première fois que Lupita voyait Kevin dans ses petits souliers.Pourtant, il devait bien être physiquement aussi grand que Ryker et, d'ordinaire, son caractère orgueilleux ne laissait pas de place au ton hésitant qu'il venait d'utiliser.

— Pas de problème, M.Albertini. Je venais voir si Mlle Jones était arrivée.

— Moi ? Mais... commença Lupita, qui réalisait brusquement que l'appel manqué ne venait pas de Vivier, mais du patron. Transfert d'appel...

— En effet, nous avons une mission en cours, il me semble, et j'ai besoin de vos services, dit-il tranquillement en se retournant pour se diriger vers les ascenseurs.

Avant de le suivre, Lupita jeta un regard de condamné à Kévin qui ne comprenait rien, mais commençait à se faire des films concernant sa jeune collègue et le patron. Il hésita à la retenir pour lui demander si elle avait besoin d'aide, avant d'écarter une éventualité aussi saugrenue. Darius Ryker n'était arrivé que récemment, et n'avait vu Lupita qu'une fois. Comment pourrait-il y avoir le moindre problème entre eux ? Et puis, la jeune femme n'était pas du genre à subir sans rien dire... non, pas le genre du tout. Il devait s'agir d'autre chose. Une « mission en cours »... Une mission secrète ?

***

Inconsciente du questionnement de Kévin, Lupita dut se retenir de ne pas courir vers les escaliers pour fuir au plus vite, quand elle passa devant le bureau de Jade. Elle se positionna près de Darius Ryker - mais pas trop près quand même-, et légèrement en retrait, lorsqu'ils montèrent dans l'ascenseur.

— Vous savez que l'époque où les employés devaient se mettre derrière les patrons par déférence, est révolue, n'est-ce pas ? dit-il sans la regarder, alors que la cabine montait.

Lupita avança petitement, mais resta en biais de manière à ce qu'il ne voit pas trop son visage. Pas de manière directe en tout cas.

— Seriez-vous timide ? Ça n'est pas marqué dans votre dossier.

— Vous avez lu mon dossier ? ne put s'empêcher de s'exclamer Lupita. Puis se reprenant, elle ajouta. C'est que je ne suis pas très présentable. Je croyais qu'il s'agissait d'une urgence à cause d'une intrusion.

— Mais c'est le cas. Plusieurs, pour tout dire.

— Comment ça, plusieurs ?

— Ça a commencé il y a deux jours. La dernière a eu lieu hier.

— Il y a deux jours... répéta la jeune femme sur un ton surpris.

— Klaus va arriver, je suppose, tenta-t-elle sans grand espoir.

—Non. Je n'ai pas appelé M. Carpentier. Il m'a semblé moins enclin à la discussion que vous, et comme vous travaillez en binôme, je suppose que ça ne posera aucun problème technique. D'autant que j'ai cru comprendre que vous aviez quelques qualifications pour pister les problèmes.

Lupita ne savait pas ce qui l'énervait le plus : que ce chameau ait attendu le dimanche pour s'occuper de ces intrusions ? Ou qu'il n'ait pensé qu'à l'appeler elle, pour régler le problème avec lui ? et puis elle prit conscience de ce qu'il avait dit en dernier : "quelques qualifications pour pister les problèmes".

Cette dernière phrase avait été dite sur le même ton que les autres. Pourtant Lupita ne put s'empêcher d'avoir un doute sur sa signification. Était-ce un message caché ? Elle jeta un œil à Ryker qui demeurait imperturbable. Puis le son caractéristique d'un message entrant s'éleva de la poche gauche du pantalon du patron. Il consulta aussitôt son téléphone, et son visage se contracta de plus belle. Allons bon, il venait d'apprendre une mauvaise nouvelle, c'était sûr ! Déjà qu'il n'avait pas l'air super sympa... « Que cette matinée allait être longue. Longue et pénible », songea Lupita en soupirant discrètement.

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