Chapitre 46 / La vie IRL

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Il n'avait pas dit grand-chose. Pourtant, l'attitude de son voisin lui avait apporté le calme nécessaire, pour que son esprit se remette à réfléchir sans flirter avec la soupape de sécurité. Dieu avait apaisé la tempête. À vrai dire, il lui avait fait comprendre dans ses silences qu'il ne servait à rien de se battre contre l'inéluctabilité des choses. Les mecs étaient des cons. Les filles des idiotes. Le monde allait mal.

Dieu était un sage taiseux. Un philosophe qui s'ignorait sans doute. Et Lupita Jones avait la chance de pouvoir lui parler quand elle ouvrait sa fenêtre. Un miracle.

Elle s'installa à son PC et ouvrit une cession sur discord. Elle voulait savoir où en étaient ses potes sur leur campagne. Elle voulait aussi s'excuser d'avoir été si hargneuse la veille. Elle n'aurait pas dû passer ses nerfs sur eux. Les mecs étaient des cons, certes, mais ça ne les empêchait pas d'être des super potes pour jouer.

La conclusion était qu'elle devait s'en tenir à ce genre de relation, parce qu'elle ne les comprenait définitivement pas quand il s'agissait de vie réelle. Pop-corn serait désormais le seul mâle à l'approcher de près. D'ailleurs, comme s'il avait entendu ses pensées, le chien vint se mettre sur la chaise disposée pour lui près du fauteuil de Lupita. Elle le gratta derrière l'oreille, et il lui léchouilla la main en retour. Les chiens étaient tellement moins cons que les hommes.

***

Darius entra dans son appartement avec la certitude que son monde s'était fissuré irrémédiablement depuis la mort de son père et que cette fissure ne cessait de s'agrandir sans qu'il ne puisse rien y faire. Il se demanda vaguement s'il n'allait pas jeter l'éponge et laisser Magnus, Jung et Elektra gérer Anthéa pendant que lui, vivrait sa petite vie sur son île. Il avait l'impression que toutes les galères vécues là-bas n'étaient rien en comparaison de ce qui se profilait ici.

— Je pense qu'on est sur le bon chemin, dit Jung en refermant la porte. Si Deimos ne t'a pas mis un enquêteur sur le dos dès hier, ça pourra passer. Sinon, il va falloir être persuasif concernant ce qu'il aurait pu voir aujourd'hui.

Devant l'absence de réaction de Darius, Jung se tourna vers lui pour l'observer. Son demi-frère s'était arrêté devant la fenêtre et fixait la Seine. Il tenait une photo qu'il avait tirée de son portefeuille. Jung savait ce qu'il y avait dessus puisqu'il en était l'auteur. On y voyait la famille Ryker au complet, le jour de l'inauguration du premier bateau de Darius, cinq ans auparavant. Ils posaient tous, souriant et joyeux entre l'océan et la plage.

— Pourquoi n'es-tu pas sur la photo, Jung ? demanda alors Darius de manière détachée. Tu aurais dû être sur la photo.

C'est à cet instant que Jung sut que le chagrin venait de rattraper son demi-frère. Lui, avait pleuré dès le lendemain de l'annonce de la mort de leur père. Il était seul chez lui, et ça lui avait fait du bien. Pas qu'il n'y pense plus avec tristesse, mais le poids de la perte lui avait paru moins lourd à porter par la suite.

Il savait que Darius n'avait pas encore évacué son chagrin. À l'annonce de la disparition en mer, il avait commencé par chercher, par tout faire pour retrouver ce père qu'il aimait tant. Puis, il avait appris qu'il devait rentrer pour prendre des responsabilités qu'il n'avait jamais désirées. Il avait affronté chaque instant alourdi par sa peine, accablé par sa tristesse. Il s'était montré fort jusqu'à maintenant. Jusqu'à ce qu'il commette une erreur.

Jung se demandait si le déclic venait du baiser puis de la gifle ou plutôt de ce qu'avait dit les amies de Lupita Jones. Peut-être le mélange des deux. Quoi qu'il en soit, Darius accusait le coup en cet instant.

— Tu veux que je te laisse ? demanda Jung en posant une main sur l'épaule de son demi-frère avec sollicitude.

— Je n'aime pas boire seul, Jung. Tu le sais.

— Je le sais.

***

Lupita devait se rendre à l'évidence. Avoir des amies dans la vie, c'était important. En avoir des comme Emmanuelle et Aïko était une inestimable chance. Elle en était parfaitement consciente. Les deux jeunes femmes étaient venues la voir en début d'après-midi pour lui parler. Pour l'aider à comprendre, à digérer. Ajouté au calme retrouvé grâce à Dieu, Lupita était presque sereine en parcourant le pont neuf en cette fin de journée ensoleillée et douce. Elle sentit quand même un peu de stress à l'approche de la place Dauphine. Qu'allait-elle dire ? Elle l'ignorait encore. Pas d'excuses en tout cas. La gifle était méritée. La colère aussi. Mais elle s'était montrée hermétique à toute discussion ce qui n'avait pas arrangé les choses, c'était certain.

Elle improviserait. De toute façon, elle ne pouvait pas anticiper la réaction de Ryker quand il la verrait sur le pas de sa porte. Alors autant ne pas y penser. Elle sourit à l'idée qu'il lui fasse ce qu'elle lui avait fait le matin même. C'est à dire lui claquer la porte aunez. Il n'oserait pas. Il voulait s'excuser. C'est ce que ses amies lui avaient assuré en tout cas.

Lorsqu'elle fut devant la porte du bâtiment, elle sonna au nom de Ryker, mais aucune réponse ne vint. Est-ce qu'il était sorti ? Après tout, elle n'avait pas averti qu'elle arrivait. Elle chercha à attraper son smartphone et se rendit compte qu'elle l'avait oublié chez elle. La poisse!  Elle sortit un carnet de son sac pour laisser un mot dans la boite aux lettres. Au moins, il saurait qu'elle était passée. Elle aurait fait un premier pas dans sa direction. À lui de faire le second. C'est comme ça que ça fonctionnait, non ? Quand elle eut fini d'écrire, elle se rendit compte qu'elle ne voyait aucune boite aux lettres.

Elle râlait tout bas en farfouillant dans son sac au cas où son smartphone y serait soudainement apparu, quand la porte s'ouvrit sur une femme très élégante. Cette dernière n'eut pas un regard pour Lupita, ni pour la porte qui se refermait lentement. Si lentement que la jeune femme en profita pour entrer.

Mais pas de boites non plus dans le hall d'entrée. elle réfléchissait à ce qu'elle allait faire quand elle fut une nouvelle fois interrompue par des voix qui approchaient. L'ascenseur. Comment allait-elle expliquer sa présence dans l'immeuble alors qu'elle n'y habitait pas ? Sans réfléchir, elle se mit à gravir les escaliers. Ryker habitait au cinquième et dernier étage, porte gauche. Elle s'en souvenait.

Essoufflée et rouge d'avoir monté l'escalier aussi vite que possible, Lupita frappa à la porte de Darius en s'appuyant dessus. Il fallait qu'elle reprenne contenance. Après tout s'il était chez lui, ce qui était peu probable puisqu'il n'avait pas répondu à l'interphone, il n'avait peut-être pas envie de la voir. Comme elle s'y attendait, personne ne vint ouvrir. Elle se mit alors à glisser son mot sous la porte. C'est alors qu'elle sentit le peu de résistance et le courant d'air. Mince filet qui s'échappait d'un interstice au niveau du coin droit, sans doute résultat d'un choc pendant un déménagement.

La porte n'était pas fermée et une fenêtre était ouverte. Qui sortait de chez lui sans fermer la porte à clé et en laissant une fenêtre ouverte à Paris ? Même en habitant au cinquième dans un quartier comme celui-là... Lupita douta soudain. Pour en avoir le cœur net, elle imprima une légère pression sur la poignée qui s'abaissa sans difficulté, ouvrant la porte sur quelques centimètres.

— M.Ryker ? appela Lupita d'une petite voix inquiète.

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