Chapitre 31 / Soutiens

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Lupita revint à son bureau avec l'esprit en ébullition. Immédiatement après son arrivée sur le plateau, l'un des serveurs fut l'objet d'une tentative d'intrusion, ce qui permit à la jeune femme de déverser sa colère sur un ennemi virtuel en le traquant avec encore plus de fureur que d'habitude.

Elle ne vit pas passer l'après-midi et s'étonna quand ses collègues lui souhaitèrent une bonne fin de journée en rigolant. Eric Vivier s'inquiéta de la voir encore à l'œuvre alors que l'intrusion avait été maîtrisée. « Maîtrisée mais pas localisée » avait-elle répondu en haussant les épaules, lui indiquant qu'elle ne partirait pas avant d'avoir pu mettre la main sur l'origine de l'attaque. Il n'avait pas insisté.

***

Jung avait un dossier à remettre au pôle juridique dont les bureaux occupaient l'autre partie de l'étage où se trouvait le pôle informatique. Il déposa le dossier sur le bureau d'un collaborateur avant de repartir, en jetant un regard pensif sur l'espace abandonné au silence.

Dans le couloir qui menait aux ascenseurs, il perçu nettement le cliquetis caractéristique des touches de clavier que l'on martyrise à grande vitesse. Seul le pôle informatique avait encore des claviers mécaniques qui produisait ce genre de son.

Jung jeta un œil du côté du plateau, séparé du couloir par une simple demi paroi vitrée. Quelques écrans de veille tournaient en silence, perçant l'obscurité de lumières plus ou moins vives, plus ou moins rapides. Il devina une silhouette plus qu'il ne la vit. Une personne travaillait encore, et ça ne l'étonna guère. L'entreprise traitant des affaires à l'international, chaque pôle possédait son lot de travailleurs nocturnes.

Il allait repartir lorsque la silhouette s'étira en hauteur. Deux bras qui cherchaient à soulager les tensions dorsales en s'élevant vers le ciel sans y parvenir réellement. Un smartphone vibra avant de s'éclairer, et Jung put enfin voir le visage du veilleur. Lupita Jones. Il se décala aussitôt de peur qu'elle ne le voit.

Il ne voulait pas qu'elle croit qu'il l'épiait. Depuis son côté de mur, il soupira. Il avait un peu pitié d'elle. Il voyait bien qu'elle aimait son travail et qu'elle le faisait bien. Ce que Darius lui demandait n'était pas juste.

D'un autre côté, ce qui lui arrivait à lui, ne l'était pas plus. Et s'il lui faisait prendre des risques, il n'en prenait pas moins, lui-même. À lui, Jung Park de faire en sorte que tout se passe pour le mieux. Il devait servir de bouclier au faux couple, assurer que le stratagème fonctionne.

***

— QUOI !!!! Tu rigoles, là !

— Tu n'es pas sérieuse, Lupe !

Pour toute réponse, Lupita déposa le contrat sur la table de sa cuisine autour de laquelle ses amies et elle, étaient assises. Emmanuelle et Aïko se rapprochèrent pour le lire ensemble. Un certain nombre d'interjections et d'exclamations accompagnèrent cette lecture, jusqu'à ce qu'Aïko n'en puisse plus et explose. Le déferlement de jurons déborda jusqu'au salon où Pop-corn se demanda bien pourquoi l'une de ses humaines préférées était si en colère. Il n'avait pourtant pas mâchouillé de chaussure depuis longtemps. Emmanuelle, elle, se contenta d'éclater de rire à s'en tenir le ventre.

Lupita ressentit un élan d'affection incroyable pour ses deux amies, si différentes et souvent si complémentaires. Leur avoir tout dit était la meilleure chose qui lui soit arrivée aujourd'hui. Elle se sentait plus apaisée, alors même que la situation n'avait changé en rien. Mais le fait de ne plus garder ce secret pour ses amies lui avait ôté le poids le plus lourd à porter. Feindre d'être la petite amie de son patron ne lui paraissait plus si dramatiquement stupide désormais. Elle allait s'en sortir comme un chef, car elle ne serait pas seule à affronter la tempête, si tempête il y avait. Sans un mot, elle les enlaça avec affection.

— Je vous adore ! lâcha-t-elle en les serrant fort contre elle.

— Si tu crois que ça va suffire pour m'empêcher d'aller donner une bonne correction à ton patron, tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'à l'épaule ! je vais lui casser les deux jambes !

— Mais ça va pas !

— Une seule, petite, alors ?! Il le mérite, Lupe !

— Rien que ça ! s'exclama Emmanuelle en serrant Lupita plus fort, tandis qu'Aïko tentait de se dégager.

— Aïko ! Tu ne vas rien faire à mon patron ! lança Lupita en mettant fin au câlin. Je vous ai parlé de tout ça parce que je ne voulais pas vous cacher des trucs ! Pas pour programmer une expédition punitive, doublée d'une mort professionnelle !

— Calmons-nous ! Calmons-nous ! Aïko ! Tu ne feras rien à M. Ryker ! De toute façon, c'est pas avec tes petits bras de photographe que tu vas lui faire du mal ! On est bien d'accord ! Pour ma part, je trouve la situation très... intéressante !

— Et voilà, c'est reparti pour les comédies romantiques !

— Pas que ! Il y a plein de thrillers où des marchés sont passés entre deux protagonistes que tout oppose et que seul l'argent réunit.

— Je t'arrête tout de suite, Emma ! M. Ryker et moi, nous ne finirons pas dans un même lit et certainement pas devant un prêtre. Il faut que nous respections les termes du contrat, et tout se passera bien. Moi, j'aurai le pognon et quelques effets personnels plus haut de gamme que d'habitude, et lui sera tranquille côté familial.

— Je n'aurais jamais cru que des personnes aussi puissantes puissent connaître ce genre de problème d'un autre siècle.

— Une communauté reste une communauté, dit sobrement Aïko.

Emmanuelle et Lupita tournèrent la tête vers leur amie qui s'était rassise lourdement sur l'une des chaises de cuisine. Aïko ne parlait que très rarement de sa famille. Et à voir sa tête, on avait l'impression qu'elle avait elle-même subi quelques pressions familiales surannées. Pourtant, Lupita se souvenait qu'elle avait été adoptée... c'était la seule information que son amie avait laissé filtrer pour expliquer son prénom à consonance japonaise associé à son nom, Chapelier, bien français, lui.

— Aïko ? Tu veux en parler ?

— Parler de quoi ? De la place des femmes dans les sociétés asiatiques et plus particulièrement en Chine ?

— Je croyais que tu venais du Japon, rapport au prénom.

— Mes parents m'ont donné un prénom japonais parce que pour eux, Chine, Japon, Corée... c'est pareil. Je viens de Chine. Enfin, c'est ce que disent les papiers d'adoption. C'est là-bas que j'ai été abandonnée.

— Ça n'a peut-être rien à voir avec les anciennes traditions concernant les filles, tu sais... Peut-être que tes parents sont simplement morts, ou qu'ils se sentaient incapables de subvenir à tes besoins...

— T'as raison, lâcha Aïko sur un ton peu convaincu en haussant les épaules. Quoi qu'il en soit, les communautés ont toutes un poids. Quel qu'il soit, il pèse sur ses membres de plein de manières différentes.

— Tu veux que je te dise ! lança brusquement Emmanuelle en se jetant sur la jeune femme triste. Qu'importe la raison qui fait que tu te retrouves avec nous aujourd'hui ! Je suis bien contente que ce soit arrivé ! Merde ! finit-elle alors que Lupita approuvait en se joignant au câlin.

— Rahhh, les filles ! Vous m'étouffez ! Espèces de sangsues ! cria Aïko en se détachant de ses deux amies.

Mais elle avait le sourire et se sentait mieux, elle aussi. Elle avait eu une journée éprouvante durant laquelle, elle avait dû expliquer à des ignorants bouchés, comment utiliser leur nouvel appareil photo. Il était parfois difficile pour elle de rester calme face à ces naturalistes en herbe ou ses futurs touristes-mitrailleurs qui s'aventuraient dans la boutique d'Otto. Elle faisait beaucoup d'efforts pour ne pas tout envoyer balader. L'argument le plus efficace étant que, si elle ne parvenait pas à tenir le coup, elle n'aurait plus toutes les facilités que son patron lui accordait pour bons et loyaux services. Et elle avait besoin de ces facilités. Elle non plus ne roulait pas sur l'or. La photo ne payait pas. Surtout quand on n'était pas connue.


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