Chapitre 13 / Suspicions et déception

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La situation demandait un doigté dont Lupita n'était matériellement pas capable, dans l'état de stress où elle se trouvait. Elle devait pourtant faire quelque chose, et vite.

— D'ailleurs, il faudrait que nous retournions à notre poste au plus tôt. M. Vivier doit se demander ce que l'on fabrique, s'entendit-elle lancer sans aucun tact.

— Ce que vous fabriquez ? Vous vous occupez d'un problème que j'ai soumis à votre pôle. Alors M. Vivier, avec qui j'ai parlé ce matin, ne s'attend à vous voir qu'une fois la tâche terminée.

— Ben, elle est terminée, là, non ? répliqua Klaus qui avait remballé son matériel et commençait à amorcer sa sortie.

— M. Carpentier, je vais vous demander de rester encore une minute, si vous le permettez, dit, en se levant, Darius, d'un ton qui ne souffrait aucune contradiction.

Lupita vit dans les yeux de Klaus, son désir immédiat de répliquer qu'il ne le permettait pas, justement. Pourtant, rien ne vint. Son collègue avait même arrêté son mouvement. C'est que Darius Ryker n'était pas un petit gabarit, lui-même. Ce que Lupita savait déjà...

— J'imagine que, depuis votre poste de travail, vous avez la possibilité de surveiller le travail de chacun.

— Même si j'en avais les moyens, ce que je ne dis pas, je n'en aurais pas le temps.

— C'est ennuyeux. Et vous, Mlle Jones ?

— Vous souhaitez surveiller les employés ? lâcha Lupita avec un petit ton outré qu'elle n'était pas parvenue à contrôler.

— Je ne veux pas surveiller « les » employés. Je veux surveiller « une » personne en particulier, mais si cela vous parait trop compliqué à tous les deux, je m'adresserais à quelqu'un d'autre.

— À qui ?

— Un intervenant extérieur, par exemple, répondit Darius en dardant un regard ambigu aux deux informaticiens.

— Un autre accès extérieur ?! Mais...

Klaus était au bord de l'implosion. C'était la première fois que Lupita le voyait aussi désespéré. Elle ne le connaissait pas depuis suffisamment de temps pour savoir de quoi il était capable dans ces moments-là. Elle décida d'agir pour leur bien à tous.

— Nous sommes en capacité de le faire, monsieur, c'est juste que nous n'avons pas l'habitude de recevoir nos missions directement... Ce sera bien une mission officielle ? demanda Lupita.

— Si je vous le demande directement, c'est que j'aimerais qu'il y ait le moins de personnes possibles au courant. Cela pose aussi un problème ?

— Et bien, c'est inhabituel, répondit du tac-au-tac la jeune femme qui avait momentanément oublié sa gêne, mais je suppose que si ça reste dans la légalité...

— Comment tu restes dans la légalité, Lupe ?! Tu m'expliques ? Il y a des lois qui protègent les salariés des entreprises, d'intrusions de ce genre.

— Et si je précise que la personne à surveiller n'est pas un employé, mais un membre de ma famille, et que je vous verserai une prime, cela change-t-il quelque chose ?

Klaus resta sans voix une fraction de seconde, avant de sortir un grognement incompréhensible que Lupita soupçonna être une injure dans une langue étrangère, tandis qu'elle se raclait la gorge à la recherche de quelque chose à dire pour compenser.

— Alors ?

— Alors, c'est bon. Je vais le faire, dit Klaus. C'est qui la cible ?

— La cible est mon grand-père : Deimos Yannopoulos.

— Votre grand-père... l'ancien PDG ? s'exclama Lupita.

— C'est ça.

Darius regarda les deux informaticiens sortirent de son bureau. Il doutait que l'un comme l'autre arrive à boucler cette mission en toute discrétion, et ça l'arrangeait. Pendant que Deimos tenterait d'éviter les manigances de ces deux-là, il ne verrait pas Jung en embuscade.

***

Lupita et Klaus réintégrèrent le plateau informatique avec la nette impression d'avoir mis le pieds dans une belle merde odorante. Ils ne parlèrent même pas de cette mission secrète. Klaus se contenta de signifier à Éric que la surveillance du PC du patron avait été mise en place, puis il rejoignit son bureau pour s'occuper du reste.

Lupita n'aurait à agir que si cette surveillance de Deimos Yannopoulos s'étendait à des appareils hors réseau interne. Elle savait déjà que Klaus lui en dirait le moins possible. Pas pour éviter qu'elle ne soit trop impliquée, mais parce qu'il était déjà de nature secrète, et que cette mission sous le manteau, ne faisait que le conforter dans ses pires défauts, car, oui, il avait la possibilité d'espionner tout le monde.

Lupita soupira et s'attela au travail qu'elle avait laissé en plan pour répondre à la demande express du patron. Elle aurait dû se réjouir. Elle avait réussi à le rencontrer sans qu'il se souvienne d'elle, certes. D'un autre côté, avec le masque et les lunettes, personne n'aurait été assez physionomiste pour parvenir à reconnaître une personne vue une seule fois et de manière rapide.

Elle se demandait maintenant si cette mascarade serait suffisante pour qu'il prenne le temps d'oublier. Elle secoua la tête. Bien sûr ! Elle s'était fait une montagne de ce que, lui, considérait déjà, sans doute, comme un incident sans intérêt. Il était peut-être passé à autre chose. Alors pourquoi, cette sensation de déception qui ne la quittait pas ?


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