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Je suis Sisyphe. Je remonte ma pierre et j'arrive devant le café, hagard, espérant qu'elle ne retombera pas cette fois et que je n'aurais pas à refaire ce chemin douloureux. Menteur. Tu sais que tu vas le refaire. C'est inévitable.

Thomas est assis à la même table que la veille, yeux vermeils qui me suivent, mornes. Je n'ai pas bonne allure, j'ai l'air d'un squelette volé à Hades, mes cheveux sont en bataille autour de mon visage trop anguleux, j'ai l'air d'un épouvantail. Irrécupérables, je suis venu quand il m'a sifflé, toutou bien éduqué.

J'aurais préféré dormir, faire semblant de ne pas savoir que je rate cours après cours à la fac, faire semblant de ne pas voir le retard que je prends à me morfondre dans mon lit au milieu des larmes et du deo, au milieu des livres et d'Adele.

Mais il m'a appelé, en pleine nuit, loup à sa lune, j'ai pas pu résisté, poids plume envolé dans la rue à son encontre. Sisyphe de l'amour.

« 'Lut Achille. »

Molière aurait eu beaucoup à dire sur son avarice. Il ne donne pas plus de mots que nécessaire, je peux tout tenter je ne lui en arracherais jamais assez.

« Salut, Thomas. »

Le café fume devant lui. Je me souviens des jours où nous fumions ensemble entre deux cours de littérature, le cerveau blindé de figures de style et de noms d'auteurs. La fumée nous séparait pas alors, elle nous rassemblait. Maintenant ce mur fumigène se dresse entre nous comme une barrière.

« T'as l'air fatigué. »

Dans mon dos, la cire commence à fondre.

« J'ai mal dormi. »

Il sourit. Ses mains délicates passent dans ses boucles, il se réajuste. Il me montre à quel point il a sa vie en main, lui, comment il gère, comment il réussit. Je sens le chaud du soleil taper dans mon dos, la cire qui dégouline, les airs qui se décollent. J'ai envie de crier mais je sais que c'est inévitable, bientôt viendra la chute.

« Pourquoi tu m'as appelé? »

Ses yeux d'ambroisie semblent pénétrer mon âme.

« Pour voir si ça allait. Camille m'a dit que... »

Déjà je n'écoute plus. Mes ailes ont pris feu. Icare, sauve toi. Tu n'aurais jamais dû t'approcher du soleil, tu savais ce qu'il t'arriverait. Pourquoi es-tu si naïf? Penses-tu que le Minotaure est plus dangereux qu'Helios?

Je vois le soleil devant moi, doré, magnifique. Il m'appelle, il m'attend, il me sourit. Naïf, innocent, je m'approche, des étoiles pleins les yeux. Je n'entends pas Dédale qui me hurle de redescendre, qui me hurle de prendre conscience de mes actions. Quand je m'en rends compte, il est trop tard. Déjà je deviens torche humaine, déjà je plonge vers la fin, déjà ma peau se calcine, déjà les cendres de mes plumes flottent autour de moi, s'engouffrent dans ma gorge, j'étouffe, je crève, je disparais dans des flammes multicolores. Le Minotaure acclame ma chute, vive les dieux! Achille-Icare est mort, c'était bien mérité. Il était trop ambitieux. Trop stupide. Croyait il battre les dieux?

Les larmes montent. Mes yeux ovales se reflètent dans ses lunettes de merde et j'ai envie de les lui arracher. Dedans j'ai l'air d'un enfant. Grand comme un collégien, j'ai l'air d'avoir à peine quatorze ans. Il doit me mépriser derrière son air de prof sympathique. Il doit me détester. Son ex trop petit, son héros déchu, sa coquille d'humain. Je sens le sel des pleurs piquer, je sens mon nez rosir. Je me lève, je prétexte un cours à la fac à ne pas manquer.  Et je fuis le soleil.

AchilleWhere stories live. Discover now