Hector me tiens la main tandis que je continue de trembler. Je suis une feuille morte dans les rues de Paris, écrasée sous les pieds des piétons qui n'ont pas le temps de regarder, qui n'ont pas le temps d'observer, de se réveiller. Je me sens si fragile, là, abandonné entre ses mains d'argile, laissé pour mort après une rencontre avec Thanatos qui a mal tourner. Je ne devrais pas accorder autant de pouvoir à Thomas. Je le sais, j'en suis complètement conscient, j'ai décidé en vain, encore et encore, de le délaisser, de l'oublier, d'avancer dans ma vie. J'ai progressé, un peu. Je suis retourné en cours, j'ai repris un travail, j'ai Hector et les moments chaleureux au creux de notre cocon hivernal.

Mais Thomas continue de me hanter. Quand je crois être en sécurité, il apparaît, sourire carnassier, yeux-miel, lunettes brisées, posées comme un omen sur son nez aquilin. Il me semblait moins vilain quand nos corps s'emmêlaient encore, quand nos âmes n'étaient encore qu'une seule cordelette manipulée par les doigts osseux des Parques . Je me souviens de notre amour biscornu comme on se souvient de son enfance. C'est flou, c'est rose, c'est trop romancé pour être vrai. Il m'embrassait aux heures perdues de la nuit, me balançait comme de la merde quand mes baisers ne lui convenaient plus puis revenait m'en quémander à nouveau. J'étais son chien et il n'hésitait pas à tirer sur la laisse.

Je ne veux plus souffrir de lui. Je souffre de lui comme d'une malade chronique. De temps en temps elle devient invisible, elle n'est plus là, on croit avoir miraculeusement guéri— on se leurre, pendant un temps, deux temps, puis la douleur réapparait et on pleure. J'aimerais l'extirper de mon âme comme on retire un cancer. J'aimerais lui vomir ma haine et lui cracher mon mépris. Quand arrêtera-il de me prouver que je n'ai fait que perdre du temps en le rencontrant? Il me traitait comme une sous-merde, il me blessait encore et encore, il m'a transformé en chiot meurtri et abimé, il m'a rendu instable, maladivement terrifié du monde, il m'a détruit, il m'a rompu à coups de massue psychologique. Je n'en peux plus, je ne veux plus, je ne souhaite plus le voir. Je refuse.


Hector me tient contre lui. Il sait que les mots ne servent à rien, les mots ne marchent pas entre nous. Je lui ai déjà parlé de Thomas. Je lui ai conté notre amour fou devenu folle torture. Je lui ai décrit mes nuits d'horreur, mes nuits de pleurs. Je lui ai parlé de son départ, de ses fiançailles, des soirées où je venais le retrouver, toujours plein d'espoir, avant d'être jeté comme une chaussette par terre. Thomas est marié à présent. Je pense qu'Hector et moi, on s'était dit que cela signifierait la fin de ce manège tortueux. Etait-ce de l'optimisme naïf?

Il est chaud, chaleureux. Mon feu. Je sais qu'en son coeur bat de la colère. Il déteste me voir souffrir. Il sait que toutes mes souffrances remontent à lui, à mon petit monstre favori, à mon Hélios rabougri. Il sait qu'il m'a tant détruit que même reconstruit je peine à avancer. Il ne sait pas quoi faire face à mes fissures, alors il fait acte de présence, il me tient, il se place en bouclier. Qui disait que je n'avais pas de bouclier? J'en ai un, et c'est mon Patrocle. Hector.

" Je t'aime."

Trois mots qui sortent de la souffrance, de la torture, de la douleur partagée. Mais je lui offre avec tout mon coeur meurtri.

" Je t'aime aussi, Achille."

AchilleWhere stories live. Discover now