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Langage : Fonction d'expression de la pensée et de communication entre les humains, mise en œuvre par la parole ou par l'écriture.

Tu ne t'es jamais demandé pourquoi ma langue se liait quand j'étais face a toi? Je devenais muet, cordes vocales emmêlées, je perdais la voix comme Ariel, bouche emplie de sel.

Ma fonction d'expression disparaissait, mes pensées se tarissaient, communiquer devenait irréalisable, mes chevilles enfoncées dans le sable, aspirant mes jambes au gré de vagues de panique.

Je t'avais revu, âme mise à nu, dans ton salon qui semblait perpétuellement sentir le sucre. Je m'étais replié au fond de moi même, escargot terrifié, tu m'avais proposé une part du dernier gâteau de notre déesse préférée. J'avais poliment refusé. L'idée d'avaler quoi que ce soit m'avait retourné l'estomac, ma gorge était si nouée que je crus m'étouffer quand je te dis "'lut", avarice de mots expliquée par ma panique décuplée par la douceur de ton corps musclé. Tout chez toi était rond, doux, dessiné comme les courbes d'un gâteau, moelleux, goûteux, probablement délicieux. Tu sentais le sucre et la vanille, tes cheveux étaient longs, mais pas de cette longueur de quelqu'un qui ne prend plus soin de lui— non, tu n'étais pas comme moi, las, fatigué de la vie. Toi, tu étais un lion, ta crinière poussait au gré de tes envies, ton visage rond, chérubin en était anobli, et mon cœur gonflait au rythme de tes sourires.

Quand est ce que ton soleil énervant était devenu si enivrant? Quand est ce que tu étais devenu parapluie, quand est-ce que tu avais commencé à me protéger des intempéries?

Tu mordais dans le gâteau, heureux, simplement content, tu n'avais pas besoin d'essayer pour profiter de la vie. Tes yeux brillaient, enfant, tu aimais la vie et la vie t'aimait en retour, belle histoire d'amour. Tu ne disais rien face à mes orages, tu laissais les éclairs te traverser avant de relativiser, tu étais Hera à mon Zeus.

Quand Athena arrivait j'en étais attristé, sa figure vampirique de femme fatale me retirait cette impression délicieusement fondante de gâteau que tu me donnais. J'étais affamé, terrorisé à l'idée que je voulais te goûter, pomme interdite si près de mes doigts, rouge comme la couleur du sang qui pulsait dans mes veines, bouillonnant pour toi.

Je savais que je cuisais à petit feu, bouillonnant dans les eaux traîtres d'une attraction interdite. Quand est-ce-qu'Icare avait remplacé son soleil par un autre? Quand-est-ce que tu étais devenu mon Hélios? Quand-est-ce-que tes traits adorables avaient remplacés ceux, execrable, de mon avare érudit?

Ton corps aurait du traîner dans la boue, Hector qui avait abattu mon Patrocle. J'aurais du te détruire, te ruiner, t'atomiser sous les coups de ma haine décuplée. Mais je me retrouvais moi, corps enfoui dans la boue, dans le sang, cerveau barbouillé par l'encens, yeux fixés sur ton corps, j'accueillais la mort.

Le mort amoureux.

Homere criait face à mes inepties, j'avais rompu le fil de ses didascalies, il hurlait mes erreurs, lueur monstrueuse de ma conscience amoureuse. T'aimais-je? Pouvais-je aimer un être tant opposé à moi que ça en devenait comique? Étais-je à ce point un être tragique? Méchant comédien qui croit rompre ses liens, idiot du village, antagonistement triste, héroïquement con.

Athena semblait m'accepter maintenant. Novembre givrait Paris et son cœur se dégivrait, se réchauffait, osait m'ouvrir ses portes d'acier.

Je me posais en Boucle d'or, je mangeais dans l'antre de l'ours, attablé devant mon porridge sans jamais ciller, je me laisser fondre devant la cheminée, bougie réchauffée, je me laissais glisser, je me laisses relaxer, je laissais tomber mes barrières si bien érigées.

Icare était allongé, bronzant près du labyrinthe, peau dorant sous les rayons du soleil, peau claire de l'être jamais brûlé.

Ce fut cette nuit qu'il m'appela, voix brisée. J'étais tellement perturbé que je décrochai, oubliant que je le haïssais, oubliant ses lunettes embrumées, oubliant ses cris, ses insultes, son avarice de mots, son cœur déchirer qu'il me vomissait comme une menace.

Je décrochai parce que mon soleil à moi dormait, au chaud dans son nid douillet, dans un appartement proche du mien. Je décrochai parce que je pensais qu'il aurait changé, après ce mois surchargé.

Il était bourré.
Ses mots étaient délabrés.
Il hoquetait entre chaque syllabe, son cœur perçait entre ses lèvres, minable.
Il murmurait des excuses finales.
Il pleurait, larmes radioactives.
Son cœur jaillissait entre ses dents.
Il me vomissait sa souffrance, friable, flammes léchant le bout de ses mains.
Les Enfers lui brûlait les pieds.
Hades l'étranglait, mains momifiées.
Il me chuchotait sa haine.
Il me décrivait sa peine.
Son mariage arrivait bientôt.
Il priait pour qu'il disparaisse- non. Pas la cérémonie. Il priait pour que le monde l'aspire. Pour que les dieux conspirent et le dévorent. Pour qu'il n'ait plus à souffrir, encore.

Je lui chuchotais des mots doux.
J'avais oublié ce que ça faisait de l'entendre se briser dans mon oreille,
j'avais oublié sa douleur écrasante, j'avais oublié ses mots qu'il usait comme une descente, descente au plus profond des Enfers cuisants.
Je lui murmurais des mots sucrés, des mots de miel, des mots enfarinés. Au fil de ses onomatopées, je sentais mes côtes se briser, mon cœur se serrer, mes poumons se contracter, l'air me manquer.
Je l'entendais s'éventrer. Je l'entendais se vider. Puis, j'ai raccroché.

Il n'était plus Patrocle. Et je ne souhaitais plus m'en occuper.

AchilleWhere stories live. Discover now