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" J'aime bien quand on est côte à côte. Quand t'es près de moi."

Je ne sais pas quand ou comment l'esprit de la communication a possédé Thomas, mais il ne ferme plus la bouche. Il passe son temps à parler. Le silence presque saint qu'on cultivait auparavant a été remplacé par ses mots, ses mots qui tentent de boucher le trou béant qui me perce la poitrine. Il ne fait que ça, parler, parler pour me montrer qu'il m'aime, parler pour me montrer ce qu'il pense, parler pour boucher les trous dans les fondations de notre maisonnée. Parler. Il ne fait que ça. Et je crois que j'adore ça. Les sons incessants, ses mots qui se bousculent comme des gamins, ses mots qui s'empilent sur mon coeur comme tant de baumes apaisants. Il ne fait que ça, parler, me dire ce qu'il pense, me dire qu'il m'aime, me montrer encore et encore qu'il ne va pas partir. Parfois, une majeure partie du temps, ses mots me suffisent, ils comblent ce trou, des fois seulement pour un court instant. Mais je crois que ça me suffit.

Je suis retourné chez ma psy. Il me l'a conseillé, et on a décidé que c'était important pour nous de chacun se faire aider de notre côté. Se reconstruire individuellement pour mieux construire notre couple.

Une part de moi a peur que tout prévoir finisse par tout casser. Et si à force de vouloir tout réparer on finit par tout faire exploser?

On se tient la main, on s'embrasse, on fait à manger ensemble. On réapprend à vivre, à être des adultes— à être humain. J'essaye de ne pas constamment pleurer, de ne pas constamment recracher mon âme sur le sol comme un putain d'homme éventré. J'essaye de ne pas être une ombre, j'essaye d'être entier— j'ai l'impression que je lui dois, alors que je sais qu'il s'en fout. Que je sais que le peu que je suis lui suffit amplement. Mais j'veux me suffire à moi aussi. J'veux être assez pour deux: lui, et moi.

Il est un peu comme l'automne. Beau, coloré, froid et humide. Il réchauffe mais il refroidit. Il fait craquer les feuilles et briser les racines.

Je ne peux m'empêcher d'avoir peur. Peur de m'attacher, peur que l'hiver arrive.

" Je t'aime." il dit, alors que le café refroidit et que la fumée de ma clope s'envole en volutes par la fenêtre. On vit dans notre propre appartement, fini l'hôtel.

" Je t'aime aussi." je minaude. J'ai l'impression de mentir quand je parle, alors que si, je l'aime, je l'aime mais je ne m'autorise pas encore à lui donner tout l'amour que je porte. J'ai peur de tout offrir et j'ai peur qu'il parte avec.

Ses doigts attrapent ma cigarette. Il tire dessus, et expie la fumée. J'ai presque l'impression qu'il expie ses péchés. La fumée s'envole entre nous, forme un barrage grisâtre, un barrage de nicotine.

" J'ai l'impression que tu es loin."

" Je suis à même pas un mètre de toi."

" Mais t'es loin de moi, Achille. Tu ne t'ouvres pas."

" J'peux pas. Je t'ai dit, je peux pas te donner plus que ça."

L'appartement, les repas ensembles, notre temps presque familial. J'aime. Ça me fait du bien. Mais s'il repart je ne survivrai pas, pas cette fois. Alors je me préserve comme je peux.

" Pourquoi pas?"

" Parce que si je m'ouvre et que tu pars, je mourrai."

" Ne dis pas ça."

" Je suis complètement sérieux, Tom. Tu es mon tout. Si je te laisse entrer, entrer comme tu entrais avant, comme nous étions avant, si je te laisse découvrir encore tous les recoins de mon âme, toutes mes blessures, si je t'autorise à apprivoiser la personne que je suis et que tu m'abandonnes encore, je pense que je ne survivrai pas. J'ai dû apprendre à vivre seul à chaque fois que tu es parti. La première fois j'ai presque réussi à me reconstruire, à aimer un autre, à devenir quelqu'un de presque entier. La deuxième fois, ça m'a anéanti. J'ai crû que j'allais crever. Mais alors si tu pars encore une fois, je pense que je ne me relèverai pas. Enfin, si tu partais demain, je serai déçu mais pas surpris. Vu que mes portes sont encore verrouillées. Mais si je te laisse entrer et que tu te casses, alors que j'me suis autorisé à penser que tu resterai, alors là je ne me relèverai pas, là je deviendrai un cadavre— un vrai. Je ne fais pas d'images, pas d'euphémismes."

AchilleWhere stories live. Discover now