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Les immortels, prenant en pitié le cadavre qu'Achille ne cesse d'outrager, engagent Mercure, dont les regards sont si perçant, à enlever Hector

Le vide s'empare de moi alors que je pousse la porte de mon immeuble. Je m'adosse au mur, soudain pris d'un vertige, et je laisse mon corps glisser jusqu'au sol. Je suis presque fiévreux, maladif, chamboulé par une vérité bouillonnait sous la surface.

Le hall est vide, le rouquin n'est plus là, pas besoin de socialiser aujourd'hui.

Il a raison. Je suis un moins que rien. Je ne fais plus rien depuis qu'il est parti. Je peine à me garder en vie, à fonctionner comme un être humain. Quand il est parti il s'en est allé avec mon coeur dans sa poche qu'il n'a jamais vidé. J'me suis retrouvé creux, délaissé, et je n'ai jamais réussi à me réparer. Mécanique du coeur fracassé, j'ai laissé de coter mes études pour me focaliser sur mes turpitudes. Pathétique, il a raison. J'étais Achille l'imbattable, élève studieux et acharné, maintenant mon char est parti sans moi à la guerre et je suis effondré.

Une nouvelle crise de larmes s'abat sur moi. Je me sens comme le dernier des idiots. Je suis brûlé de partout, ma peau ne cicatrise pas, pas encore, elle est à vif, calcinée par les flammes d'un danger que j'ai ignoré à répétition. Icare! Ne vois tu pas que tu vas crever? Ne vois tu pas que tu t'approches dangereusement de la mort, à penser que tu es immortel? Icare! Tu es humain, bon sang, redescends! Icare! Reviens! Le soleil te mangera! Tu es le chaperon et il est le loup! Icare! Redescend!

Le mur-forteresse me paraît glacial. Pourtant je flambe de l'intérieur, temple d'Hephaistos. Les flammes lèchent mon cœur, combustible près à imploser. La chaleur ne me réconforte pas, au contraire, elle m'étouffe, brillante combustion, je crève de chaleur, je crève de chaud, je m'enflamme et je m'embrase, je deviens incandescent, inconscient, ma tête se pose contre le mur, je me sens fébrile.

Je vois passer un groupe de jeunes. Amalgames de couleurs. Je reconnais les cheveux carottes du type de ce matin et j'ai envie de l'insulter, mais je ferme les yeux et j'me sens sombrer.

Une tête rousse s'arrête. Je sentais le rouge contre mes joues. Une main qui m'effleure. Des paroles inquiètes. Clown de bonne humeur, gentillesse excessive. Je veux l'enterrer. Je veux lui effacer son sourire, gommer son regard inquiet, ternir son visage jusqu'à ce qu'aucunes émotions n'y transparaissent. Si je ressens trop, les autres doivent ne plus ressentir. Je dois expier ma douleur, je dois agir. Icare, Icare, redescend je t'en supplie.

J'avais dû lui marmonner le numéro de mon appartement, puisque quand je reviens à moi je suis allongé sur mon lit, emmitouflé dans ma couette, le visage frais. Est ce qu'on m'a rincé le visage? Est-ce qu'on a pris soin de moi? Cela faisait si longtemps. Pathétique. Hagard, les yeux lourds comme des valises avant un périple, j'me sens fatigué par un odyssée que je n'ai pas réalisé. J'me sens héros défiguré, avachi dans mon lit, perdu dans les flots, la mer jusqu'aux oreilles, la merde jusqu'aux orteils. Dictionnaire éventré, les mots perlent dans mon esprit plus vite que la lumière, train de pensées irrémédiablement vomi dans une tête complètement givrée.

Mon voisin m'a dit son prénom avant de partir. Il s'appelle Hector.

AchilleWhere stories live. Discover now