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Epilogue

Six ans plus tard

Le soleil perle sur mon visage. Les draps sont relevés. Je me laisse le loisir de baigner sous le doux sourire d'Helios. Les rayons dorés se dessinent sur ma peau. ouvre les yeux: devant moi, un spectacle de pur bonheur. Hector, Snoop, notre petite boule de poils ( un labrador blanc comme neige). C'est comme une carte postale, celle avec les familles parfaites qui autrefois me faisaient verdir de jalousie, qui me glaçaient dans mon élan et venaient ruiner ma journée. Sauf qu'aujourd'hui c'est à moi de me réveiller près de la personnification du soleil ( les rayons sortent de sa peau comme d'un miroir) et d'une boule de poils respirant le bonheur ( si un animal pouvait s'arrondir et devenir un astre, ça serait lui).

Je me redresse. Son visage barbu se tourne vers moi, ses yeux gris se placent vers moi et j'y vois briller tout l'amour qui enfle en lui depuis des années. L'amour qu'éprouve Hector pour moi est comme un ballon de baudruche. Il gonfle au fil des années alors qu'il était déjà immense, flottant, léger, lumineux et coloré.

« Bien dormi? »

« Merveilleusement bien. »

Snoop se rue sur moi, sa langue rose perlant de sa bouche comme une cascade de sérotonine. Il me lèche le visage comme j'aurais léché une glace, son sourire étiré si humain que mon coeur s'emplit d'un bonheur renouvelé.

« Je t'aime »

Ça sonne comme une parabole ou une prière, comme une chanson heureuse, joyeuse, rythmée. L'amour n'est plus fracassé, il n'est plus émietté, il n'est plus narcissique, égoïste, avare, il n'est plus un échange, il n'est plus terni par le monstre goulu au fond de mon être. Je suis allégé, je suis libre de m'envoler, mes ailes sont ancrées dans mon dos, dans ma chair, plus rien ne peux me faire plonger.

La cuisine vient d'être repeinte par les mains expertes d'Athena. Notre appartement, proche du secteur artistique de Paris, est assez grand pour quatre. Hector, moi, Snoop... Et Maë, notre fille. Elle dort paisiblement dans sa chambre dans la pièce d'à côté, son adorable nez en bouton frémissant au rythme de ses rêves.

" Tu as prévenu les autres pour ses un an?"

" Oui. Ils m'ont tous dit qu'ils bougeraient tout leur emploi du temps pour être présent."

" Super."

La théière roucoule, la vapeur s'élève dans un chuintement titanesque. La main enneigé de mon époux attrape la poignée, et nous sert deux tasses fumantes de thé vert. Je me sens adulte— repus, heureux, accepté dans un paradis humainement doux. Qui aurait cru qu'être heureux était si facile? Si tendre? Que s'abandonner de la sorte à l'inconnu pouvait ouvrir des portes pareilles, qu'elles pouvaient permettre d'accepter un amour de l'ordre de la perfection?

Athena arrive à dix heures, bras emplis de cages de fraises. Elle tient le bras de Roman. Sa barbe est fournie, brune comme ses cheveux qui ondulent sur ses épaules. Ils se sont remis ensemble il y a deux ans, et coulent une histoire incongrue depuis.

" Enfin!"

L'atmosphère est douce, printanière. Hélios nous sourit, il roucoule, il rit. L'époque grinçante de ma vie semble enfin révolue.

" A quoi tu penses?" il murmure contre mon oreille: l'intimité de sa respiration contre ma peau a encore le pouvoir de me faire frissonner ( rappelle-moi que nos âmes ne font qu'un, rappelle-moi que nous sommes un coeur divisé en deux, rappelle-moi que Zeus nous a déchiré mais que je t'ai retrouvé, mon âme, mon coeur, mon tout)

" Je pense à tout notre bonheur. Ce bonheur qu'on mérite tellement. Cette vie qu'on a. Je pense au fait que tu m'as offert des amis, une vie, du bonheur, des choses si douces, si heureuses que je n'aurais jamais pu les imaginer de moi même, pas avant, pas avec le moi que j'étais quand je t'ai rencontré. Tu m'as aidé à guérir, à accepter de l'aide, tu m'as donné ce que je méritais, ce que je ne voulais pas accepter. Je t'aime tellement. J'aime notre maisonnée, j'aime notre famille, j'aime ce qu'on a. J'aime notre univers, celui qu'on s'est construit avec amour et patience."

" J'aime bien tes pensées. J'aime bien t'écouter. Et moi aussi, je t'aime."

Athena se sert une tasse de thé fumant, Roman l'englobe de ses prunelles, et Hector me regarde toujours des mêmes yeux adorateurs. Je sens mon coeur gonfler.

J'ai l'impression d'enfin être empli. Entier. J'ai l'impression d'enfin être le Achille que j'aurais toujours dû être— papa, époux, auteur à succès, prof dans une école primaire en banlieue. J'ai l'impression d'être enfin autre chose qu'une erreur, qu'une merde, qu'une personne qui jamais ne deviendra autre chose qu'un monstre dépressif et destructeur. Et je sais, je sais enfin, je comprends enfin qu'Hector est la meilleure chose qui m'est arrivé. Qu'il est ma pièce manquante, l'amour de ma vie, mon Patrocle— ma muse, mon amour, mon être. Mon âme. La douleur que j'ai survécu, la toxicité des nuages qui emplissaient mes poumons, mes pensées, ce dieu que je vénérais jusqu'à en crever, tout était un chemin pour enfin trouver cette stabilité.

Je ne suis plus Icare. Maintenant, je vole près du soleil et je brille comme de l'or. Je vole près du soleil et j'éblouis mon univers. Héros antique victorieux, je suis un être accepté par l'autel de la vie. Je me sens enfin héros. Héros de ma propre vie.

Sisyphe, sais-tu qu'un jour tu seras libre?

AchilleWhere stories live. Discover now