Je m'étais toujours demandé ce qu'il adviendrait de moi si la fac se rendait compte de l'incapable que j'étais. Si elle se rendait compte que je ne réussissais pas, que je ne travaillais pas— pas autant qu'il ne l'aurait fallu. Si elle se rendait compte que je ne vomissais pas mon âme dans mes devoirs, que je ne recrachais pas mes poumons dans mes cours, que je ne mendiais pas auprès de mes professeurs pour une note correcte, pour une chance de plus.

Maintenant je savais.

J'avais échoué à mes partiels.

Je savais que ces examens avaient été ma dernière chance. Après tout, je ne fichais rien, je n'allais pas en cours, et ils avaient été clairs: ceux qui ne réussissaient pas foutaient le camps. LA fac était trop pleine à craquer pour garder ceux qui, bras-ballants, fixaient le plafond à longueur de journée.

On m'avait mis à la porte. Pourquoi on? Parce qu'ils avaient fait en sorte que la voix qui m'annonçait la nouvelle était impersonnelle: une lettre. Une lettre qui aurait pu se perdre parmi les pubs et les impôts. Une lettre que j'aurais pu jeter sans même faire attention, une lettre qui aurait pu végéter dans ma boîte pendant des mois et des mois si Hector ne récupérait pas mon courrier si régulièrement pour me rendre service. Une lettre. Même pas un mail, ou un texto. Une lettre. Aucuns moyens de la retracer à qui que ce soit, aucuns moyens d'identifier une quelconque écriture: elle avait été tapée à l'ordinateur, imprimée puis délicatement enfouie dans une enveloppée, timbrée (comme moi), placée dans une boîte jaune, récupérée par un facteur ou une factrice fatigué.e, emmenée dans un sac bien trié ( l'image du sac en cuir rembourré était très démodée) , transportée tout autour de Paris puis jetée dans ma boîte mal lavée.

Je n'avais plus d'école.
A part le boulot, quelle raison avais-je de me lever?


Hector fit de son mieux pour me faire voir le côté positif. Nouvelle année, nouveaux débuts... Mais déjà, le monstre grognait en moi, l'angoisse montait, insidieuse, comme les bulles de l'eau qui montent, montent, montent, jusqu'à ce que la cocotte explose.

J'avais envie de tout casser. De me déchainer comme une tempête, de faire voler mes feuilles, mes notes, mes poèmes. J'étais un bon à rien, un littéraire sans livres et sans talents. Ma plume n'égalerait jamais celle de quiconque puisqu'elle était absolument lamentable, je méritais de m'étouffer sur mes mots et de crever. Je ne parvenais pas à écrire comme il fallait, tout ce que je notais sur papier devenait monstruosité et je voulais le cramer comme les femmes durant l'Inquisition. Je me sentais cheval de Troie, imposteur cachant une coquille vide sans rien à offrir. J'étais inutile, je ne servais à rien.

Le mois de Février annonça bien des orages. J'éclatais tous les jours, énervé contre mon ombre, mes foudres s'abattant sur quiconque osait tenter de m'aider. Styx, Nike, Farah, Roman... Ils ne venaient plus. Hector allaient vers eux à la place. Athena désertait l'appartement. Et moi, je quittais presque plus le mien, mon appartement vide et froid.

Hector n'abandonnait pas pourtant. Il revenait toujours, malgré la pluie qui dégoulinait dans ses cheveux bronze, malgré les marques brûlantes des éclairs qui maculaient son visage constellé. Mais l'orage finissait toujours par éclater. Je ne pouvais m'en empêcher. Et chaque fois que la douleur, fulgurante mais rapide, s'inscrivait sur son visage, une partie de moi mourrait.

Mars.

J'avais commencé à voir un psy. Doucement, des petites séances éparpillées, pour maîtriser et comprendre cette colère qui me hantait. Il fallait que j'apprivoise ce monstre qui me rongeait, qui me bouffait à pleine dent, qui tentait de me détruire de l'intérieur et qui annihilait sans ménage mon univers.

Les giboulées semblaient annoncer la fin des orages.

Avril.

Ma gorge était serrée. J'étais assis sur le canapé d'Hector, à attendre leur arrivée. J'avais l'impression que j'allais m'effondrer, ou pire, que j'allais exploser. L'angoisse me grignotait, me mangeait à la petite cuillère, riant face à mon nez dépité.

Ma jambe tressautait au rythme de mes pensées, mes poumons brûlaient, mes muscles étaient crispés.

La porte s'ouvrit sur la bande. Roman, Styx, Athena, Nike, Farah. Hector. Ils avaient tous l'air d'appréhender notre rencontre. Je me demandais comment ils me voyaient. Un monstre? Némésis, déesse vengeresse et colérique? Lyssa? Folie personnifiée? Manea? Zeus, colérique, injuste, destructeur?

Je me dégoutais. Le savaient-ils? Voyaient-ils ma honte? Mon regret? J'avais été la cause de leurs tourmentes pendant des mois, j'avais détruit leur havre de paix, je les avais transformé en réceptacle de ma colère, qui n'étais en fait que de la déception vis à vis de mes propres ratés, de ma faillite perpétuelle. Je n'avais même pas perdu mon Patrocle mais voilà que je perdais la raison.

" Merci d'être venus."

Je pris une grande inspiration.

" Je voulais m'excuser de comment je me suis comporté. Enfin, pas m'excuser. M'excuser ça implique donner une excuse, justifier mon comportement, me faire passer pour victime. Je ne suis pas la victime. Je suis instrument de mes émotions, de mes sentiments, je suis instrument de choses que je ne comprenais pas sans aide extérieure, mais cela ne justifie rien de ce qu'il est advenu. Je voulais... Je ne trouve pas le mot. Vous comprenez. Je voulais dire pardon. Pardon. Est-ce-que pardon suffit pour tout ce que je vous ai fait vivre? Je vous ai fait vivre des horreurs. Mes cris, mes injures, ma haine contre le monde que vous n'avez pas créer. Je suis tellement désolé. Je me voyais comme derrière une vitre et je ne pouvais m'en empêcher, je ne pouvais empêcher le monstre en moi de rugir et de mordre et de détruire. Je vous demande pardon. J'ai été le plus grand des cons, à vous forcer à vous éloigner alors que tout ce que je souhaitais— tout ce que je souhaite— c'est que vous restiez. Je comprends si vous voulez plus de moi. Si vous restez pour Hector mais pas pour son mec colérique. Je me suis fait aidé, j'ai vu un psy, je comprends d'où viens ma colère et je l'ai maitrisé. Il suffisait que je fasse face à ma défaite et que je comprenne que je vaux mieux que des choses immatérielles. C'est débile. On s'en fout, d'où elle vient, cette colère. On peut pas tout remettre sur le dos des choses non concrètes. Ma colère était bien matérielle vis à vis de vous et je suis extrêmement désolé que je vous l'ai fait vivre aussi longtemps, sans jamais demander pardon. Non. Je ne m'excuserais pas, c'est pas des excuses que vous méritez. C'est que je vous demande pardon. Je suis désolé. Et Hector, je suis désolé d'avoir montrer une face pareille du monde à ta petite face d'ange. Je suis désolé de t'avoir humilier devant tes ami.es. Je suis désolé de t'avoir rejeter, de t'avoir gueuler dessus, je suis désolé d'avoir été incapable de gérer mes émotions de manière intelligente. Je suis tellement désolé d'avoir été aussi incapable, d'avoir tout raté. Je suis tellement heureux que tu soies resté, je ne le méritais pas et je ne le mérite toujours pas. Tu te rends compte de ta patience divine? D'à quel point tu es trop bon pour ce monde? Je t'aime fort, je t'aime, tu es génial. Et les autres, merci de m'avoir écouter. Merci de ne pas m'avoir détester. Merci d'être venus. Je suis désolé, je suis vraiment désolé."

Styx souriait.

" Tu sais Achille, tu es humain. C'est pas ton côté divin qui te rends exécrable. C'est la part de toi qui est nous."

Ils me prirent tous dans leurs bras, et je pleurais comme je n'avais jamais pleuré avant. Parce que malgré mes émotions explosives, malgré ma colère maladive, ils m'avaient accepté.

AchilleWhere stories live. Discover now