Vivre avec lui était à la fois le Paradis et l'Enfer. Il faisait beau mais atrocement chaud, j'étouffais pourtant je n'avais jamais été aussi heureux, l'anxiété enflait dans ma poitrine, alourdissait mes membres, raidissait mes os, mais le bonheur me faisait pousser des ailes.

Mai commençait avec des fleurs sombres, des éclairs et un soleil particulièrement rond, comme ses pupilles grises qui me zieutaient dès l'aube. Je me retrouvais à me lever de nuit pour pleurer, crier dans un coussin et écrire. J'avais besoin d'air. De l'air. De l'espace.

Je trouvai rapidement un deuxième travail, pour quitter plus souvent la maison. Je l'aimais de tout mon cœur, je ne souhaitais pas lui échapper, mais j'avais besoin d'inspirer l'air dénué de rayons de temps à autre, pour garder les pieds sur terre, pour me souvenir de la pollution, du métro et de la haine qui enflait dans mes poumons.

Ma colère était comme un monstre momentanément tamisé. Il attendait, roupillait, savait qu'un signal sonnerait et qu'il pourrait jaillir, japper, hurler, mordre.

J'avais peur du monstre en moi. Ses crocs acérés m'angoissaient, sa mâchoire carrée me terrifiant, ses yeux noirs sans fond, ses membres trop musclés, son ossature épaisse... Tout me contrariait.

Le métro était à la fois un somnifère et un café. Je me sentais piégé et libéré, comme un funambule oscillant entre deux mondes. Mes pieds glissaient sur la corde effilée, mes jambes tremblaient et mes bras se tendaient sous la pression de la terreur. L'air semblait peser sur mes épaules comme le poids de toutes mes responsabilités, ma colère s'accrochait aux corniches de mes doutes, susurrant dans mes oreilles déconcentrées. Puis, dérapage. Chute. Hurlement. Coeur avide. Foule furie. Cris. Air qui brise tous mes os. Vent qui fracasse mon dos. Cheveux qui s'emmêlent. Mains qui agrippent quoi- le vide? Le vent? L'air frais, glacial, qui me pénètre comme un torrent? Ma chute est celle d'Icare, dénuée de romantisme. Pragmatique. L'air me gifle. Mes ailes se fendent. Mon âme se pend. Corde enroulée autour de son cou maigre. Je fonce vers le sable valloné. Mon nez va se briser comme un moignon de pain. J'ai peur. Je hurle, je pleure, je supplie les dieux. Icare tombe, Icare chute, Icare s'esclaffe de terreur, Icare s'éventre, Icare se fend, Icare se défend contre le vent, Icare gémit, Icare supplie, Icare a peur, peur, peur. Icare meurt.

Mon corps est détruit, allongé dans le sable dégoûtant du cirque. J'ai failli à ma mission. Ma colonne est brisée en morceaux d'accordéon.

Hector m'attend à l'arrêt, sourire riz-au-lait. Je l'aime. Pourquoi est ce que ça ne suffit jamais?

AchilleWhere stories live. Discover now