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" Hector, tu penses que tu serais quel animal, dans une autre vie?"

" Un éléphant."

" Parce que t'es super intelligent?"

" Non, parce qu'ils sont baraqués. Et aussi parce qu'ils ont une trompe et que c'est trop stylé."

" Et moi, tu me verrais comment?"

" Bah en éléphant aussi. Pour qu'on puisse être dans le même univers."

Sa main est sur la mienne, ses doigts glissant le long des vallons de ma peau. Je ferme les yeux. J'aimerais regarder où ils glissent, j'aimerais voir exactement où ses doigts dessinent sur ma peau, mais je veux aussi me laisser fondre dans la sensation de son toucher. Je veux fermer les yeux et ressentir la brulure du contact de sa peau. Je veux fermer les yeux et languir dans la sensation de pure euphorie qui m'accable.

" C'est quoi un de tes meilleurs souvenirs?"

J'ai l'impression qu'on ré-apprend à se connaitre. Je re-découvre Hector, je re-découvre ce type qui m'a chamboule-tout, chamboulé, chamboulant—ambulant.

" J'en ai une myriade. Avec toi? Je pense que ça serait nos fous rires dans le noir, assis par terre dans la cuisine." Je ne m'en souviens pas. Je me demande si les vapes de la dépression m'ont volé des souvenirs délicieux. " Avec les autres, j'en ai tout autant. Une fois, avec Athé, on est allé en Normandie, et on a coursé des vaches. On a rit si fort qu'on s'est mis à pleurer en plein milieu d'un pré. Il s'est mis à pleuvoir d'un coup, et on a fini trempé. Ça n'a aucun sens, mais je te promet que c'était un des moments les plus drôles de ma vie."

Il a les yeux-nuages et les lèvres-prune.

" Et toi?"

" Les meilleurs souvenirs, ceux qui sont foncièrement heureux, aucunes arrières-pensées, aucuns arrières-goûts venimeux ou acides, étaient avec toi. Nos soirées-films, nos soirées avec Athé, avec Styx et les autres, nos moments heureux, hilares, nos fous-rires. Mon esprit continue de me dire que j'en ai eu avec— euh. Enfin. Avec Thomas. Tous les moments que je vois roses alors qu'ils étaient gris."

" C'est normal. Tu n'étais pas en capacité de comprendre la réalité, enfin, de la concevoir."

Il prend un temps pour respirer. J'ai l'impression qu'il n'y a que lui, que lui qui sait se recentrer de la sorte. Prendre un temps pour sentir son être, planté dans la terre, réfléchir à sa place dans le monde, tout ça pour ne pas être mauvais. Tout ça pour être quelqu'un de bien. Il est trop bien pour ce monde.

" Achille, tu as le droit d'avoir des souvenirs heureux, tu sais. Et tu as le droit de les avoir avec quiconque. Je suis heureux de savoir que tu en as avec moi— avec nous, moi, les autres. Mais tu sais, Ach', tu sais, je n'ai pas besoin d'être le seul être dans ta vie pour me sentir bien. Je suis là, je suis ton meilleur ami— enfin, je l'espère— et je n'ai pas besoin d'être seul au monde pour me sentir bien."

" Mais... Je..."

" La seule personne que j'aimerais que tu n'aies pas dans ta vie c'est l'autre. Lui. Ce connard de merde. Mais je sais que tu as pu avoir des bons moments avec lui, et tu n'as pas besoin de les censurer, pas avec moi. Tu as le droit de te remémorer les moments où ça allait, les moments où peut être tu l'aimais pour de vrai, les moments où il n'était pas le monstre qu'on sait qu'il est."

" D'accord.. Je comprends, je crois."

Je ne me sens pas petit, ou fracassé. Ce soir je me sens juste fragile— quel mot puis-je user? Ah. Oui. Vulnérable.

" Tu as le droit à une vie, Ach'. Je ne te demanderai jamais— jamais, tu m'entends?— d'être ta vie entière."

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant