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Sois content de moi, ô Patrocle,

L'Iliade

Demeter avait pris possession de la déesse de la guerre. Emmitouflée dans un tablier rose bonbon, la vampire-Athena sortait de l'arène pour prouver son statut de reine des cookies.
Le parfum sucré de la bonne humeur flottait dans la cuisine, tandis que Demeter menait sa tyrannie du chocolat. Elle nous avait enrôlés, fidèles soldats, pour l'aider à préparer la pâte.

Le visage d'Hector était couvert de farine, masque de guerrier atypique. Je souris, vilain moqueur. Il était devenu un bonhomme de neige enfariné.
Son regard se posa sur moi, ses sourcils se fronçant, un flocon de farine tombant sur son tablier. Dès que notre tyran fut détournée, trop occupée à mélanger les ingrédients dans son chaudron, il prit une épaisse poignée de farine, et, boule de neige asséchée, me la lança au visage.

Je fis alors un son très très viril.

Athena se tourna vers l'origine du cri, mi-cochon mi-truie, les yeux écarquillés de surprise. Puis, ses yeux-foudres se posèrent sur le criminel: les éclairs auraient pu faire cramer la chevelure rousse du petit renard. 

Le froid était nonexistent dans la cuisine. Chaleureuse, elle me rendait heureux, moi qui était pourtant si creux, coquillage dans le sillage de destruction qu'avait laissé le soleil. J'aurais pu m'eventrer, à ce moment, et pleurer toutes les larmes de mon corps, j'aurais pu m'éclater, bulle givrée, sauf que les flammes du bonheur me chatouillaient les pieds.

Athena frappa Hector d'une plat de sa cuillère, et je vis sur ses lèvres osciller un vague sourire. Il m'adressa un regard, promesse d'une revanche, et mon cœur fit un soubresaut, gymnaste olympien.

Peut être que mon appartement me paraissait plus glacial que l'Antarctique. Peut être que sans un soleil dans mon ciel je devenais mort-vivant, Icare noyé. Peut être que je crevais sous le poids de mes infirmités. Peut être que mes poumons étaient plus petits que mes yeux, peut être que mon coeur avait été mangé par Éros au petit déjeuner. Peut être que j'étais fatigué. Mais ici, j'étais au chaud. Emmitouflé dans la couette du bonheur.

Doucement, je m'approchais d'Hector, main pleine de farine. Il me zieutait, son beau regard gris posé sur moi comment deux points d'interrogations. Je souriais, je savais que je puais la suspicion, mais je parvins à m'approcher assez pour commettre mon crime. Il comprit trop tard que l'heure de ma vengeance avait sonné. Pluie de farine s'abattît sur son visage de chérubin, flocons de neige dans les cheveux, tempête hivernale sur les épaules. Derrière moi, derrière nous, Zeus lâchait ses foudres.

J'éclatais de rire, fier de ma bêtise, un éclair de soleil se dessinant sur mes lèvres. Tournesol déplié au rythme de ma joie, Hector s'illumina devant moi.

Il était noël avant l'heure. Athena arriva dans le salon, vingtaine de cookies empilés, joyeux château de sable, sur une assiette décorée de sucre rouge et or. Elle rayonnait, petit soleil, ses joues roses et sa bouche formant un cœur. Hector, bambin, se jeta sur les cookies avec joie. Au fond de moi, les graines étaient semées. La tempête s'en était allée, j'avais retrouvé un fermier, et bientôt viendrait les moissons.

Du coin de l'œil, je l'observais. Ma main me chatouillait, mes doigts me démangeaient, je voulais l'effleurer, ne serait-ce qu'une seconde, pour voir s'il était toujours aussi brûlant. Je voulais l'effleurer, pour voir si sa peau était sucrée. Si son bras était aussi musclé qu'il n'en avait l'air. Si sa peau me brûlerait. Le genre de feu doux, hypnotisant, flamme d'une bougie, danseuse de flamenco. Peut être que j'aimais brûler. Peut être que si c'était lui, brûler même dérangerait pas, finalement. Peut être que si je devenais feu je ne pleurerais pas. Peut être que cette fois, je renaîtrai de mes cendres.

Son cœur était-il autant argenté que ses yeux? Ses lèvres avaient-elles le goût de cookies et de chaleur?

Je détournais les yeux.

Il valait mieux que je me concentre sur le goût de mes gâteaux, et non pas de son cœur. Parce que si, vilain Adam, je croquais cette pomme, Éden s'écroulerait.

AchilleWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu