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Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est jamais de si bouleversant héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion

- Albert Camus, l'Homme révolté

Sa prose me flottait dans la tête, plume égarée post-envolée. J'étais assis près de ma fenêtre, observant la nuit étoilée. Les nuées grisâtres formaient des gisements poussiéreux dans un ciel opiniâtrement désireux de prouver la saison. Les cendres cachaient en partie le feu des astres éloignés, mais il restait néanmoins leurs points lumineux qui perçaient, transcendants, les nuages épais de leurs bras archéens.

Je ne savais pas être le héros. Comment pouvait-il voir en moi un bel héros? Comment voyait-il en moi ce romantisme, ce rocambolesque être vivant, alors que j'étais être tyran, être gisant dans les cendres de l'Apocalypse, peau calcinée, Pompeian qui ne sut s'échapper. L'oeuvre d'art qu'il voyait, était-ce moi? Etait-ce une autre, un autre, muse acidulée, sucrée, muse non-déprimée, muse joyeuse, heureuse, pas peureuse. Ses yeux émeraudes, était-ce dû à leur vert primevère, à leur couleur savamment comparée à une pierre, douceur des mots du poète, briseur d'âmes et de plumes?

Alors que l'amour, la peur et tes sourires me taraudent

Pensais-tu à moi comme je pensais à toi, allongé sous la lueur de la lune qui chantait entre les rideaux? Te rendais-tu malade, fiévreux, crâne rabiboché par mille et un souvenirs amochés, mourant, pensais-tu à moi, voisin mal-luné, voisin avarié, voisin qui peinait à prononcer des mots mais qui pourtant continuait de venir, jour après jour, dans ta cuisine tâchée de farine, sur ton canapé empli de coussins, devant ta télé couverte de guerriers ensanglantés?

Etais-tu enfoui dans une armure, comme laissait entendre ta douce prose, étais-tu coincé dans ta carapace comme je l'étais, étions nous deux idiots encoquillés, voulais-tu, crabes cramés, te balader sur la plage de nos douleurs ensembles? Voulais-tu la briser, cette armure, baisser les armes, rendre l'âme, mettre fin à cette guerre que nous nous évertuons à mener. Troie tomberait et nous luis ririons au nez, nous aurions l'audace d'aimer, l'audace de pleurer, l'audace d'assurer à nos derniers jours, soldats abandonnés, de vivre et sourire et danser.

Je m'évertuais à composer une poésie des sens, à dessiner sur ma peau de mes doigts le spectacle, le tableau que j'aurais voulu que tu peignes, je m'évertuais à composer mes églogues, chaste poète, méchant romantique, je m'évertuais à prouver encore et encore que ma poésie s'effilait entre tes doigts brûlants, au rythme de tes satanés sourires, serpent trompeur, que ma poésie s'effilochait comme la laine des pulls d'Athena, ceux qu'elle avait tenté de cacher dans le placard pour pas que nous ne la moquions, mamie atterrée, pour que tu comprennes l'effet que tu me faisais.

Je ne me souvenais pas quand tu avais commencer à me rendre fou. Peut être avait-ce été quand tu lisais le roman, presque une vulgaire liste de courses, de ton père. Peut être était-ce quand tu m'avais recueilli comme un chien de la SPA dans ton appartement alors que je m'éventrais, sac à patates, sur ton canapé. Peut être était-ce quand je t'avais jeté de la farine, quand j'avais goûté au sourire, quand j'avais vu avec quelle précision tu t'évertuais à créer, mains de géant sur un stylo minuscule, dessins et poèmes rédigés au crépuscule du matin.

L'Asile attendait que je me laisse porter par tes flots, par ta marée et ta houle, l'Asile attendait que je prenne peur quand, sans foi, je m'enfuirais de toi.

Ta prose me hante.

Mais tes yeux aussi. Ces yeux gris, qui devraient me paraître vide, qui devraient m'ennuyer. Je devrais les comparer aux trottoirs sales de Paris, je devrais les comparer au ciel de l'automne aigri, je devrais les comparer aux antennes télévisées, à l'acier abimé du métro et la peau dénaturée d'un monstre, créature de Frankenstein. Tes yeux ne peuvent être comparés à la banalité de la vie. Le tableau parisien, citadin n'est même pas une esquisse de leur beauté. Dans tes yeux je vois la guerre, je vois les armes, je vois les cris déchirants des légions qui courent droit vers la pointe acérée d'une lance. Je vois destruction, je vois danger, je vois Morte amoureuse. Dans tes yeux je vois vie, pourtant, je vois fleurs fanées, je vois sourires et rires et peau ridée. Je vois poésie et art, je vois musées, je vois Louvre et je vois Louve assoiffée. Je vois danse et je vois sucre et je vois sel près à être versé, je vois muse et je vois ange, chérubin rassasié. Je vois ailes et je vois feu et je vois braises rougies, je vois bougies et je vois chant et je vois choeur illuminé. La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur, Tadej Pogačar d'argent.

Tes cheveux de lion me suivent de même, crinière hantée par le bronze de l'Antiquité. Yeux fermés je les vois se dessiner, boucles qui passent en boucle comme le dernier rap connu sur les antennes radios. Tu me rends fou, ivre de toi, l'alcool d'Apollinaire devient mon Baudelaire à moi. Tes cheveux elfiques me font rêver féerique, je deviens un romantique, Musset aux bras de Sand me scande mes vers de lait. Pourquoi me hantes-tu de la sorte? Pourquoi est-ce-que toi, ours fantomatique, symbole emblématique du bonheur, des fleurs, du printemps et du beau temps, pourquoi est-ce que ton coeur hante mon vide hivernal?

Toi je ne t'haine point. Toi, je t'admire, critique d'art prostré devant l'unique oeuvre qui l'a atterré.

Suis-je ton héros?

Est-ce le tragique de ma vie qui me déifie?

Est-ce cela qui t'inspires? Est-ce la tristesse que je respire?

Est-ce que sans ma douleur, je suis fade et sans couleurs?

Répond, je t'en supplie.

AchilleWhere stories live. Discover now