Les senteurs qui s'élèvent depuis la cuisine s'apparent aux senteurs divines d'un marché de Noël. Athena, manches relevées, mains enfouies dans de la farine sucrée, mine effarouchée, s'affaire pour préparer un prestigieux repas de Noël.

Ce soir, la bulle éclate, pour le meilleur et pour le pire.

Hector m'a invité à son repas de Noël. Je vais rencontrer ses amis que je jalouse tant.

Styx, Nike, Farah, Roman.

J'aide tant bien que mal, histoire de ne pas me sentir comme la pire des pariah. Je décore le salon de flocons faits-mains, pliés par mes soins sous l'oeil critique de la déesse de la guerre. Hector attend à la Gare, Styx et Nike arrivent de Lyon.

Le salon ressemble au cliché des films hollywoodiens. Il est chaleureux, même si je ne peux m'empêcher d'y avoir froid. Les murs sont couverts de flocons, d'étoiles et de rennes aux bois pailletées. Un sapin bon marché trône sur une petite table près de la télé, recouvert de décorations brillantes, savamment disposées. En arrière plan, de la musique de Noël nulle à chier joue, pour nous mettre dans l'ambiance.

On est le 24, il est bientôt 22 heures, il fait froid et je suis presque en pleurs.

Athena a fini d'enfourner sa dernière fournée de sablés dans le four. Elle essuie son bras sur son front, peste contre la farine qui perle maintenant le long de son visage, et s'empresse d'aller se changer. Les amis arriveront bientôt, il est l'heure de se mettre sur son 31.

Je me suis vêtu de la seule chemise que j'ai qui ne donne pas l'impression d'être cinquante fois plus grande que moi. J'ai coiffé mon mullet pour que j'ai l'air propre, j'ai rasé ma barbe de deux jours qui avait poussé, et j'me suis mis un tout petit peu de blush pour contrer mon air de zombie cadavérique. Et je suis en pantalon de soirée. J'ai fait l'effort d'être aussi présentable que possible, même si j'ai envie de m'arracher les vêtements et la peau.

22 heures 30.

Athena s'est mise en bombe: cheveux lâchés, rouge à lèvre rouge, liner chic, faux-cils, robe moulante rouge, talons plus hauts que la Tour Eiffel, petit sourire guerrier.

23 heures.

Hector arrive, sourire gigantesque peint sur son visage angélique.

Styx, Nike, Farah et Roman entrent. Je manque de défaillir.

Styx est petit.e, a les cheveux longs, enfin longueur d'épaule, et bouclés. Iel a le teint sombre, les cheveux couleur prune, et des yeux couleur pretzel. Iel porte une salopette de Noël et un liner vert qui match.

Nike fait la même taille que Styx. Elle a les cheveux rasés, des yeux d'un noir terriblement attrayant, et la peau laiteuse. Elle porte une robe-fraise.

Farah est grande, les cheveux longs et verts, les yeux caramels. Elle porte une jolie robe verte avec un corset blanc. On dirait une fée.

Roman est un opposé à toute cette féerie qui semble être entrée dans l'appartement d'Hector. Il est moyennement grand, il porte un long manteau de tweed, type professeur, un peu comme celui de Thomas, il a les cheveux longs attachés en une natte derrière lui. Ses cheveux sont noir corbeau, ses yeux sont gris, il a une fine moustache, de type homme à peine pubaire, ( je suppose qu'il vient de commencer la testostérone), il porte une chemise sous un corset et un ample pantalon noir.


Le petit groupe me prouve rapidement que mes angoisses étaient inutiles. Styx me raconte ses aventures à la fac d'art qu'iel fait à Lyon, et de ses projets, tout en riant de la patience qu'iel n'a pas. Nike parle de son année sabbatique qui s'est transformée en travail sans études post-bac— elle a fait une formation de tatoueuse et travaille dans un petit studio à Lyon avec un mec qui s'appelle David— et Farah nous parle du boulot qu'est jongler entre son travail dans le restau' familial et les études d'éco-gestion. Roman nous raconte ensuite comment il ne sait pas ce qu'il souhaite faire: il était tellement concentré sur sa transition administrative et sociale qu'il n'avait jamais pris le temps de se poser pour réfléchir à l'avenir. Il jongle maintenant entre les petits boulots, alternant des horaires complètement saugrenus et une fac générale qui lui semble sans but.

La troupe éclectique me fait me sentir comme membre d'une famille. Je me sens chez moi, accepté.

Je leur raconte la poésie. La poésie que j'écris, que je lis, que je pense constamment. Je leur raconte la fac de merde, ma famille de merde, je leur raconte ma peur de Noël. Et c'est là qu'Hector prend la parole.

" Mes parents n'avaient pas accepté mon coming out. J'avais seize ans, j'étais dans une équipe de foot, j'avais tout pour plaire, j'étais le boug avec pleins de muscles qui allait définitivement avoir pleins d'enfant et une femme bien gaulée. Alors quand je suis rentré un jour, la mine ébouriffée après avoir embrassé un membre de l'équipe adverse, et, bourré, je leur ai avoué qui j'étais, ils m'ont donné vingt quatre heures pour dégager. C'était début Décembre, il faisait froid, j'avais pas de famille chez qui aller me réfugier. J'ai passé les premiers jours à dormir sur un banc, entre mes possessions, je savais pas qu'il y avait des refuges, j'y connaissais rien, j'avais pas d'internet pour vérifier, de toute manière. Je mangeais plus, je me douchais gratuitement dans les gymnases publics, je pleurais sans m'arrêter, j'avais honte. J'étais propre mais je me sentais si sale. Puis j'ai rencontré Roman. Roman avait été gerté, aussi. A la rue, sans le sous. Il était au refuge pour les personnes LGBTQ. Il m'en a parlé, il m'y a emmené. Et j'ai rencontré tous les autres. J'ai passé Noël avec eux. Et j'ai appris qu'être gay, c'était pas une honte, que la honte, c'était les parents qui jetaient leurs enfants."

Je lui pris la main sous la table.

" Je n'ai jamais baissé les bras. Parce qu'ils m'ont entouré, et que j'ai compris que même sans parents, la vie méritait d'être vécue. Evidemment ça n'a pas été aussi facile que ça, j'ai dû beaucoup travailler sur moi même, j'ai dû tout gagner tout seul, tout faire tout seul, j'étais si jeune et si peu formé, le reste du lycée a été très compliqué. Mais j'ai survécu. Et je continue de survivre."

" Hector nous a permis de grandir, aussi. Il était extrêmement positif pour tout le monde sauf lui même. C'était notre petit ange, notre petit cheerleader, notre pasteur athée. Il nous a motivé, nous a permis d'avancer."

" Pas tant que ça."

" Si" renchérit Styx " Si t'avais pas été là, je pense pas que je serais resté.e aussi longtemps."

Hector sourit, les yeux mouillés.

" Je vous aime, les gars."

Styx rit.

" Nous aussi on t'aime, p'tit soleil."

AchilleWhere stories live. Discover now