J'étais assis dans un océan de ma personne. Des livres, des carnets, des lettres, des journaux, des vêtements distendus, gigantesques, des stylos, de l'encre, coulant comme du sang sur la moquette. J'étais allongé, yeux ouverts, globuleux, blancs, la bouche entrouverte. Je me sentais comme un cadavre délaissé dans ses affaires impersonnellement personnelles. J'avais l'impression que de l'encre coulait dans mes veines, ou du plomb. J'étais lourd, morbidement lourd, si lourd qu'on ne pouvait me porter. J'étais frigide, froid, fatigué.

Il fallait que je me lève, que je nettoie mes vêtements, que je range mes affaires. Ce soir, il fallait que tout soit bouclé, pour que je rejoigne le soleil dans sa galaxie étoilée.


Ses mains dorées achevèrent de fermer la dernière boîte de carton légèrement cabossée. Je le regardais, l'oeil brillant, le coeur gonflé, l'âme illuminée.

" Merci, Hector."

Il sourit.

" J'te rejoins chez nous?"

" Oui. Chez nous."


L'appartement était illuminé, entièrement emplis de bougies dorées. Les flammes vacillaient sous la brise printanière qui soufflait par la fenêtre entrouverte. Sur les murs pendaient des photos groupées d'Hector et ses ami.es, des fleurs, vestiges de l'anniversaire printanier de Nike. Maintenant, le sol était jonché de boîtes de carton contenant ma personnalité.

Je m'assis sur le canapé où tout avait commencé, l'amour fleuri plein le ventre, la poitrine pleine d'espoirs. Il s'assoit près de moi, mon soleil, mon astre, mon étoile, mon brillant amour. Il me tient la main, la peau brulante, des constellations couvrant sa peau laiteuse, sa Voie Lactée. Il brille, son bonheur émane comme un parfum délicieux. Je fonds contre lui, je laisse mon réconfort tisser son tapis sur le sol de ma vie.

Gabrielle, la proprio, a accepté de vendre mon appartement si vite que j'ai pris peur. Je voulais partir en courant, m'échapper, m'envoler, tout sauf accepter la réalité des décisions et de leurs conséquences, tout sauf accepter que le monde avait changé et que ma vie avait changé et que j'étais heureux. Mais j'avais tenu tête à mes angoisses, contre cette peur qui semblait m'étrangler, me secouer, me détruire à coups de pieds. J'avais signé les papiers, et j'avais emballé les vestiges de ma vie.

Sept mois. Une moitié d'année. Est-ce-que j'allais trop vite, est-ce-que je me ruais droit vers le désastre, est-ce-que ma vie n'était qu'une répétition des mêmes cycles de torture, encore et encore, la mort dans l'âme?

Il était brioche, gâteau, il était muffin, cupcake, il était dessert, sucre, bonbon, amour, bonheur.


Des boîtes de pizzas s'étaient ajoutées à celles de mes affaires. Hector, Athena et moi mangions sous la lumière tamisée des bougies. Le gras perlait sur le bord de nos lèvres, le bonheur enflait dans nos poitrines, le rire éclatait entre nous comme de la musique dorée. Les heures passaient, Athena riait, son visage déridé, sa colère débridée. Elle parlait de Roman, de leurs rencards, de leurs rires, de leurs sorties au ciné, au café, au restau, leurs promenades, la lune, les étoiles, les sourires échangés de nuit, entre deux conversations alcoolisées.

Hector parlait de son boulot, de ses études, de son bonheur avec moi, comme si je n'étais pas là, comme si je ne buvais pas ses paroles comme du nectar.

Et moi, je ne parlais pas. J'écoutais, je m'abreuvais du bonheur que je ressentais, je me laissais entraîner sur la rivière des jolies choses.

Hector me tenait la main, distraitement, et je me souvenais des fois quand ce geste me faisait exploser, quand ce geste me faisait paniquer, quand je ressentais les flammes, l'incendie, la mort, quand le feu brûlait sous l'épiderme de ma peau.

Je t'aime.

J'ai peur.

Mais peut être que mon chaos et ton amour se marieront et créeront un soleil encore plus vibrant, comme le violoncelle de ta voix.

AchilleWhere stories live. Discover now