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Est-ce-que l'être humain sait réellement ce qu'il fait? Se rend-il compte des répercutions de ses actions, de ses décisions, mille et une vagues qui modifieront ensuite le cours de la rivière? Est-il au courant que chaque seconde qui passe selle/scelle/ annihile son destin, que chaque minute suis s'égrène l'enferme un peu plus dans sa prison?

Mon reflet me montre un garçon un peu biscornu, un peu anguleux, un peu distordu. Un garçon aux beaux cheveux, un garçon au regard creusé, fatigué, aux yeux ovales et aux lèvres si fines qu'elles paraissent disparaître. Mon miroir me renvoie l'image d'un demi-monstre un peu éclaté, d'une créature un peu assommée, d'un puzzle non-terminé, d'un sac de farine éventré, d'une fontaine asséchée.

Je me sens décousu, fragment de réalité, conséquence d'un monde déréalisé.

Je ne sais plus qui je suis, je ne sais plus comment me décrire, comment me matérialiser dans un monde dans lequel je ne sais me retrouver. Je suis crevé, je suis effacé dans les esquisses d'un monde qui ne m'appartient pas.

Quand même le soleil brûle, quand même le soleil s'éventre, quand même le soleil se fissure, comment l'univers est-il censé tenir pieds? Sans se noyer? Sans crever? 

La galaxie est égratignée, son genou saigne, des bleus se dessinent sur ses jambes calcinées. Pourquoi s'écroule-t-elle? Meurt-elle sous le poids des préjugés? Sous le poids de la douleur qui, tiraillement intérieur, lui déchire le coeur?

C'est la fin de la galaxie, la fin de l'univers, le monde se fissure, se cassure, se défigure.

Usure disproportionnée.


Hector se glisse dans ma cuisine comme un bandit sous mes yeux gonflés par des larmes salées. Il pose une assiette pleine de sablés sur le comptoir, préparant deux tasses fumantes de café à la noisette.  Athena est assise sur mon canapé, happée par mes notes de cours qu'elle relit d'une mine concentrée, me lançant de temps à autre une question pointue.

Session révision pour les partiels.

Elle me lance question après question tandis que je fonds dans ma tasse de noisettes, peau liquéfiée par la chaleur qui semblait manquer de mon habitacle.

Hector mange derrière moi, Dionysos souriant, chevelure fauve, yeux plissés du guerrier. Son teint est doré, son visage constellé, son sourire rosé, osé, se dessine au gré des coups de crayon. Il est beau.

Et moi je suis rassuré.

Malgré la galaxie qui s'effondre. Malgré mon univers qui s'écroule, qui tombe en morceaux de météorites, en morceaux de planètes, en astres qui gonflent jusqu'à exploser, estomacs distendus, coeurs éclatés. Malgré mes os qui se brisent au gré des eaux, des vagues qui se liment sur les plages violacées, violentées, sablées. Sablés mordus par les crocs d'un dieu littéraire, d'un dieu artistique, d'un dieu porteur du bonheur des rayons de lumière de la journée abimée.

Je suis rassuré. Accepté. Aimé? Réchauffé.

Et je veux retenir cela. Seulement cela. Rien d'autre. Je veux oublier douleur et pleurs, je veux oublier sang et blanc des yeux qui me fixent, monstrueux rappels de ma souffrance inouïe. Je veux oublier, me souvenir seulement de la beauté du monde, de l'Idéal que Baudelaire prone comme un hymne à Dieu, comme une promesse que l'univers laid, distordu cache entre ses plis ne serait-ce qu'un peu de beauté, une part de soleil, une part de miel que l'on a caché des doigts sinueux de la Mort et de la haine, de la cruauté humaine.

Je suis accepté. Je suis lové dans la sécurité d'un refuge aimanté. Je suis abimé, certes, mais je souhaite me réparer.

AchilleWhere stories live. Discover now