BONUS Spécial Fêtes

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" Ravi d'officiellement te rencontre, Achille." Hector lors de leur première discussion dans le hall d'entrée de leur immeuble 

Sisyphe, sais-tu qu'un jour tu seras libre? 

Le soleil a éclaté dans notre appartement. Pourtant, il fait âprement moche dehors: le temps se prête à la neige grisâtre de métropole et le givre qui mord les doigts. Le soleil ne relève pas de la météo, loin de là. C'est le 24 décembre, jour d'effusions de chaleur et de traditions. Et surtout, c'est le premier Noël de notre fille Maë. 

Une part de moi se souvient de tous ces moments où je me sentais pas à ma place. J'ai passé tant de temps à me sentir comme un extra-terrestre, comme une personne sans place, sans famille, sans espace me correspondant, que chaque fêtes me fait comme l'effet d'à la fois une claque et le plus doux des câlins. Parfois j'ai du mal à me rendre compte du fait que ça y est, j'ai le droit à une vie, j'ai le droit au confort, je ne suis plus bouffé par les démons qui arrachaient des pans entiers de mon âme, qui m'avalaient et me recrachaient comme si je n'étais qu'un amas de pourriture. J'étais un cadavre désoeuvré et maintenant je suis un mari, un père, un humain heureux. Penser à cet être désoeuvré, torturé, disséminé par cette constante douleur qui me faisait crever me donne envie de pleurer. Penser à ces heures de torture, de haine, de pleurs et de colère, à cette destruction, cette envie d'en découdre avec l'univers qui se retranscrivait dans la destruction de chaque parcelle de mon bonheur me file la gerbe. Je n'aime pas penser à l'homme que j'ai été, à cette enflure jetable, détestable, ineffable que j'étais. Mais cette personne n'existe plus. Elle est enterrée. Elle a laissé place au père, à l'époux, l'auteur à succès, au professeur de banlieue qui vit aux côtés de son Patrocle, son Hector, son doux soleil adoré. Je ne vénère plus de dieu immortel et immoral. Je ne vénère plus une image, une illusion, un mirage, et ça depuis si longtemps que ça me parait un cauchemar illusoire, un monstre d'un autre temps qui se reflète de temps à autre sur le reflet d'une vitre, d'un miroir, d'une flaque d'eau. Une part de moi se souvient, mais se souvenir ne veut pas dire s'appesantir. Je me souviens, et je continue d'évoluer. 


" Je suis là, Ach'."

Sa main glisse le long de ma taille. Il sait que c'est dur pour moi, les périodes conviviales, les périodes où les souvenirs deviennent coriaces, où l'alcool tombe à flots, la période qui me remémore les affres du passé. Il sait et il me tient, comme une ancre m'empêchant de couler. 

" Je sais Hector." 

Sa bouche est près de mon oreille. Il embrasse le creux de mon cou, comme pour me transmettre du courage. Il sent l'orange, la cannelle et le savon pour bébé. Il s'est occupé du bain de Maë, juste avant de l'envelopper dans le pyjama Grinch qu'Athena lui a tricoté. Je sens une fleur éclore dans ma poitrine, ses pétales brillantes et roses de bonheur. Personne n'a jamais été aussi beau père qu'Hector. Il respire le bonheur, le calme et la paternité, et j'en sens mon coeur gonfler comme une montgolfière. 

" Je t'aime, mon Patrocle."

Il sourit. Son sourire électrique, ses yeux aquatiques, sa barbe dorée comme la lune qui brille dehors. Je suis chez moi. 

L'appartement est préparé. Ce matin, Athé et Roman ont pris d'assaut le salon avec leurs guirlandes dorées et leurs bougies de cannelle. Maintenant chaque recoin de chez moi respire un bonheur hivernal irréel. Je me sens comme dans un de ces films à l'eau de rose qui passe à la télé pendant les fêtes. Je me sens comme une autre personne, un Achille déguisé, transfiguré. Noël. Noël sans douleur et sans erreurs, Noël sans pleurs et sans peurs, Noël dénué d'angoisse et de poisse. Ça me semble trop beau pour être vrai. 

AchilleWhere stories live. Discover now