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Je t'assure que nous autres morts avons le plus violent désir de retrouver notre vie corporelle

J'étais assis au comptoir de ma cuisine, stylo en main, cahier ouvert devant moi comme la Bible de mes erreurs. J'avais écrit et raturé, maintes et maintes fois, sans jamais terminer une phrase, sans jamais arriver au point. Douleur versifiée, j'avais essayé d'expier mes péchés, bon petit Samaritain, perles nacrées posées sur mes cils, lumière bleutée sur ma peau cadavérique. J'étais mort-vivant, extraterrestre gothique, monstre de Frankenstein, créature immolée.

Mes mots ne venaient pas.

Ils étaient moches, informes, défigurés. Vestiges d'un talent ancien, perdu dans les ruines des temples antiques, je ne savais plus écrire, alphabet déchu, scribe perdu. Je devenais obsolète, dénué de mes capacités d'antan.

Tête entre les mains, je regardais l'heure défiler sur le cadran de mon four, course effrénée contre moi même, jeux olympiques modernes. A quoi servait mes efforts? Sisyphe, Icare, guerrier désarmé, l'illusion éclatée, mythe déraciné, je me battais dans le vide, mon ennemi invisible. Qu'est ce que je faisais, au juste? Rien. Rien de rien. Je me démenais contre un soldat à terre, je me jetais entre ses crocs, le sang perlait sur mon dos, mes épaules recroquevillées.

Les mots me venaient, legos sous mon pied, pathos maladroit. J'écrivais. frénétique, sans me relire, sans tenir compte de mes fautes, de ma prose malmenée. J'étais un monstre éduqué, un monstre alphabète, j'écrivais et je lisais et je tentais de m'humaniser. Les monstres les plus terrifiants ne sont ils pas humanoïdes? Ne sont ils pas ceux que nous reconnaissons dans le miroir? Mais je ne me reconnaissais pas, dans les vitres, je voyais un être difforme et squelettique.

Fou, j'étais allé voir les boîtes aux lettres. Je voulais admirer le sanctuaire du livre. Hector Lebrun, son nom. Numéro 10. Deuxième étage. L'appartement que convoitait Thomas, l'époque où nous cherchions un endroit où vivre ensemble notre histoire décousue.

J'étais resté debout devant pendant de longues minutes. Hector. Lecteur. Figure du bonheur. Traits innocents, mains de footballeur, bras de crossfiteur. Lecteur?

Sa boîte était fermée à clé. Pas étonnant. Pourtant je voulais fouiller. Trouver à tous prix ce qu'il s'y trouvait. Avait-il plusieurs livres? Que lisait-il? Comment osait-il être heureux? Comment osait-il lire quand moi je souffrais?

J'étais remonté dans ma chambre, sans le croiser. Je ne sais pas ce que j'aurais dis s'il m'avait trouvé, immobile, devant sa boîte, béat, admirant un mur.
Oui oui, j'admire les œuvres d'art.
Mais ma boîte aux lettres, c'est une œuvre d'art?
L'art c'est subjectif.

Il m'aurait cru fou. Et je voulais que seul moi puisse observer ma folie. Folie contrôlée. On dit que les vrais fous ne sont pas conscients de leur folie. J'me demande si c'est vrai. Est-ce que les génies reconnaissent leur génie? Halte aux simagrées, j'arrive chez moi, nez contre la porte, nez sur une feuille déchirée.

Je ne savais rien. Je n'avais jamais rien su. Le soleil avait raison. J'étais un tas pathétique de notes de musique. Ma lyre ne jouait plus, j'étais une coquille vide, j'étais un coquillage sans âge délaissé sur la plage, loin des doigts grassouillets des enfants douillets.

AchilleΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα