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Les âmes, ombres des morts, me chassent et ne me laissent point me mêler à elles au-delà du fleuve

Iliade

1er Décembre.

Je suis assis devant ta porte, calendrier en main. Le présent m'importe soudain. Le chocolat que je tiens se mange en 25 jours, c'est un peu enfantin. Mais j'ai froid, et là, je ne peux pas faire le malin. La clim' de l'immeuble a arrêté de marcher, on avance que c'est à cause de l'Elysée. Tout ce qu'il arrive est toujours faute d'autrui, jamais de l'idiot qui laisse ses fenêtres ouvertes même sous la pluie.

Je sais que je change, je le sens comme un crépitement si lent qu'on peine à l'entendre. Je sais que je me transforme, créature réveillée d'une longue apnée, sel perlant au bord de son nez.

Ta porte s'ouvre.

T'es beau. Nounours de Noël, tu portes un pyjama si épais que tu deviens un bonhomme de neige. Rouge et or, ta crinière est attachée en une queue de cheval derrière ta tête, et ton sourire est si large qu'il menace de craquer ta peau.

Je ne sais pas quand on a arrêté de se dire bonjour. A la place, tu me prends dans tes bras, ours briseur de côtes.

Aujourd'hui est un grand jour. Tandis que tu dévores le chocolat de la première porte du calendrier que je t'ai apporté, Athena déplie son matériel de torture sur un tabouret placé juste derrière le canapé: tondeuse, ciseaux, brosse. Aujourd'hui, on s'attaque à la jungle qui me sert de cheveux. Dire que j'ai peur ne suffirait à englober tous ses sentiments qui menacent d'éclater. Je n'ai pas touché à mes cheveux depuis des années. Ils sont longs et détiennent tous les secrets de mon existence, emmêlés à toutes mes souffrances. Je n'avais pas pu m'en débarrasser, ma fatigue perpétuelle devenue trop handicapante. Maintenant, je peux. Maintenant, Athena va m'aider.

Elle m'aide à m'installer. Hop, me dit-elle, experte, assis toi-là, non, là, ducon, et surtout bouge-pas. J'obéis, vaillant soldat. La vibration tressautante de la tondeuse menace de me faire faire un infarctus.

" Je suis en train de couper les extrémités. Ca ira plus vite comme ça"

Athena m'avait promis de me décrire exactement tout ce qu'elle faisait. Je pense que quelque part elle se doutait que la panique me nouait la gorge et que la peur me tordait l'estomac. Je pense qu'elle savait que je n'avais rien changé à mon apparence, pas de manière décidée, depuis plus d'une année.

J'entends le plouf des cheveux qui s'écrasent. Dans mon esprit torturé c'est comme des mines qui explosent sur le champs de bataille. J'entends les ravages, j'entends les morts, la douleur, la panique, j'ai envie de crier et d'hurler et de me laisser me déchirer, mais je me contiens et je laisse faire la déesse de la guerre.

" On est arrivé à longueur mi-cou."

J'entends le sourire de sa voix. Elle est satisfaite de son travail, et ça veut tout dire. Le perfectionnisme courre dans ses veines. Elle ne me ratera pas.

" Mullet?"

" Mullet" elle acquiesce

J'entends la tondeuse d'approcher de mon crâne, de mes oreilles, le boucan me parait infernal, mais je la laisse faire, elle gère. Le son semble faire vibrer ma peau, je le sens dans mes oreilles, dans mes os, mais je reste silencieux. Je l'entends couper quelques mèches çà et là derrière moi, touches finales de l'artiste, puis elle me tend une glace. Je me regarde.

J'ai le visage encadré par mes cheveux. Je n'ai plus l'air d'un épouvantail, d'un docteur fou aillant mis les doigts dans la prise. J'ai l'air de prendre soin de moi. J'ai l'air d'un rockeur, d'un badass, je me sens presque beau.

Derrière moi, Hector siffle.

" Wow. T'es incroyable."

Bel héros transfiguré.





Je pensais que je n'y arriverais pas. Mais cet instant de présent m'avait ouvert les portes vers un monde meilleur. Je me sentais bien, plus léger, je me sentais apte à manger le monde, crocs dans la terre, sandwich galactique, empiriquement mien.

Nous avions ensuite regarder un autre film. Choix d'Athena, poétiquement violent et dénué de romance. J'avais eu la sensation de respirer, de me relever d'entre les vagues salées, de réussir enfin à nager, de réussir à flotter, le courant ne m'emportait plus, j'avais le contrôle, muscle saillants hors de l'eau glacée, navire non pas échoué mais dévié.

Hector m'avait effleuré, j'avais cru flamber, poésie enflammée d'artistes embrasés.

AchilleDove le storie prendono vita. Scoprilo ora