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Aucune loi n'oblige les dieux à être justes, Achille, reprit Chiron. Et après tout, peut-être que l'ultime chagrin consiste à se retrouver seul sur terre une fois que l'autre est parti.

Le Chant d'Achille

Je n'avais pas réfléchi au vide qui avalerait mes entrailles dès mon retour à la maison. Je n'avais pas réfléchi a trou béant qui me boufferait de l'intérieur. Zeus m'avait divisé en deux. Et Tom n'était pas l'autre moitié de moi, je le savais à présent, j'arrivais à le concevoir, mais je ne savais pas comment l'accepter.


Après notre première après-midi au cinéma, nous nous étions régulièrement revus à la bibliothèque, entre les poètes de la Pléiade. Entre tasses fumantes et notes échangées à la belle étoile, nous nous séparions plus. Il m'avait emmené picnicker parmi les arbres, nous nous étions allongés dans l'herbe, têtes parmi les marguerites, étoiles dans les yeux, riant aux larmes. Je croyais alors que nos doigts entremêlés, que nos paroles échangées dureraient pour l'éternité, que nos cahiers de poésie étaient la littérature de notre amour, que nous serions imbattables, intouchables.

Maintenant je le pleurais, tête dans les coussins, larmes acidulées coulant sur mon canapé.


— Trouve-moi un héros qui ait été heureux.

Il n'y avait pas de mots pour décrire ce que je ressentais quand la porte de ma prison s'ouvrit sur lui. Il avait le visage constellé et les yeux étoilés, agrémenté d'un sourire ensoleillé. Ses cheveux martiens entouraient son visage comme une auréole. Il était entré, sans rien dire sur l'état des lieux, sans pointer du doigt mes vêtements qui jonchaient les meubles, la vaisselle qui jonchait la cuisine. Il était entré, cookies à la main, coeur sur la manche, bonheur sur les lèvres.

Nous étions assis sur mon canapé, cookies plein la bouche, sucre plein les lèvres.

" Pourquoi t'es venu, Hector?"

Il sourit, chocolat au coin de la bouche.

" Je sais que dans ta tête il se passe des choses. Je le vois dans tes yeux. Je le vois à ton sourire."

Il s'arrêta, comme pour laisser le temps aux mots de se déposer sur ma peau.

" C'est débile dit comme ça" il ajouta, regard inquiet de celui qui a peur de blesser " mais je ne veux pas te laisser seul. Et... J'aime bien passer du temps avec toi."

Il sourit.

" T'es quelqu'un de très intéressant, Achille."

Rire acidulé.

" J'arrête pas de penser au poème que tu as écrit."

Son regard gris devint argent.

" Tu as énormément de talent. Tes mots... Ils sont si beaux."

Bel héros anéanti

" Tu dessines si bien. T'es un véritable artiste."

Il haussa un sourcil amusé.

" Merci."

Il mordit dans un autre cookie, pensif. Ses mains étaient rudes, celles d'un artisan. Il était imposant, ours tenant un pinceau, épaules de rugbyman, visage de chérubin.

" Je dessinais beaucoup quand j'étais petit. Surtout des personnages Mario, puis Zelda." Il rit doucement " j'étais un peu à part des autres."

Il avala une autre bouchée de cookie.

" Quand je suis arrivé au lycée, j'avais plus le temps. Je devais m'entraîner pour le foot, je devais me démener pour les notes, tout tourbillonnait et je n'avais plus le temps pour rien. Je m'y suis remis cette année."

Son visage s'était rembruni, ciel orageux et terni par les nuages gris.

" Tu me paressais si intéressant à dessiner, il fallait que j'essaie."

Je sentis l'esquisse d'un sourire se dessiner sur ma bouche, le bouillonnement du bonheur monter au creux de mon estomac.

" Athena n'approuve pas de toi. Elle trouve que tu es un voisin étrange. Est-ce qu'elle a raison?"

Je ris, maintenant. Un rire véritable, le genre qui provient du tréfonds de soi.

" Je pense qu'elle n'a pas forcément tord. Je suis quelqu'un de compliqué. Etrange. Le genre à te tuer dans ton sommeil, tout ça."

Il s'esclaffa, faisant tomber un cookie par terre. Immédiatement, je me penchais pour le ramasser, alors que lui faisait de même. Nos doigts s'effleurèrent une fraction de seconde. Ma peau vira au rouge. Du coin de l'oeil, je vis ses oreilles, devenues cramoisies.

" Tant que..." il hésita, se reprit, mâcha ses mots, un trouble quelconque aillant pris possession de son esprit " Tant que.. euh. Tant que tu me tues pas tout de suite, je.. Ca me va."

" Oh ça... On verra bien."

Pareil à la fleur de jacinthe, les cheveux d'Hector fleurissaient autour de ses oreilles tandis qu'il me regardait de ses yeux soucoupes-volantes.

" Tue-moi, Achille. Je survivrais. Promis."

C'était censé être un jeu, une blague, une vanne. Mais ses mots m'ébranlèrent au plus profond de moi. Ses mots, ses cheveux enflammés, ses yeux soucoupes-volantes, ses lèvres de tournesol, son visage constellé, son nez aquilin, ses doigts d'artisan, tout me rendait fou, et je ne comprenais pas cette folie qui envahissait mon âme, incendiant mes pensées.

" Hector..."

Son regard me transperça, dague d'argent, douce douleur. Je perdis le fil de ma pensée, déconcentré, le cerveau retourné. Ses foutus yeux diamants, ses foutus étoiles sur la peau, foutu voisin gentil, foutu symbole du bonheur, foutu soleil.

" Tes cookies sont délicieux." fis-je finalement

Il sourit.

" C'est ceux d'Athena."

AchilleWhere stories live. Discover now