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La poésie s'emmêle dans mes veines, à la façon qu'elle s'emmêle seulement dans le sang des écrivains, dans les cellules des poètes. Elle s'emmêle, elle est brinquebalante, elle rebondit contre les parois de mon âme. Je crois qu'elle sait que les temps changent et que je m'apprête à prendre main, à devenir temporairement héros. La poésie se démêle au rythme de mes pas. La poésie médite les mots que je ne saurais jamais donner ( moi qui connais les mots, moi qui les maîtrise, traîtrise des mots est pourtant plus récurrent que maîtrise).

Il fait nuit et cette fois il n'est pas tard. Pas assez tard pour justifier l'irrationalité de mes actions. Les métros grouillent dans les tunnels comme des fourmis et je suis à dos de fourmi. Et d'un coup me voilà en train de grimper les marches, quatre à quatre, de son appartement. Ma chemise est boutonnée de traviole et j'ai les joues roses— pas à cause de l'alcool, ni de l'effort, non, je crois que je suis ivre d'un bonheur que je ne sais traduire et que je gambade dans les champs du délire. Et d'un coup voilà que mon poing tambourine sur sa porte, voilà que la porte s'ouvre, dans un élan, voilà que son visage tout doux apparaît dans la douce lumière bleutée de la TV— et voilà qu'il me voit, que je perds mes moyens, une, deux, quatre, douze secondes, voilà que je le regarde dans le silence.

Hector.

Hector.

Où commencer?

Alors il commence à ma place. Il me dit:

" Achille— Oh purée, Achille. J'attendais. J'attendais que ça, que tu reviennes. J'attendais que tu reviennes et que je vois, que je vois de mes propres yeux que cette porte est ouverte, que je vois que j'ai le droit, que je peux, que je peux te dire tous ces mots qui trottent dans ma tête comme des poèmes inachevés. Que je te conte les histoires, l'éphémère poésie qui se délie dans ma tête— je suis en plein délire, Ach', je crois que je suis fou, je crois que je perds les pédales. Achille, oh purée, Ach', Achille, je suis fou. Ça fait si longtemps que je suis amoureux de toi, j'ai été à toi— je suis resté à toi— et tu as été mien, tu as été sien, tu as été tien, tu as été pleins de différents Achilles que j'ai appris à apprivoiser à convoiter à aimer à apprécier, et là, Ach', Achille, Achille, j'attendais que ça que tu sois mien— j'espère que je ne me trompe pas, j'espère que tes joues roses sont roses pour moi, j'espère que tu n'es pas rose de larmes, j'espère que tu n'es pas rose de peine, de douleur, j'espère que je ne suis pas en train de me ridiculiser, de tout niquer devant toi, j'espère que je ne suis pas en train de me transformer en un de ces mecs qui ne sait pas accepter l'amitié— je suis là, ça ne me dérange pas d'être juste ça—"

Et là je l'interromps. Non pas que ses mots ne me font pas brûler, non pas que ses mots ne me font pas imploser, mais je l'interromps avant qu'il ne se liquéfie devant moi. Et là, voilà que mes lèvres s'appuient contre les siennes, voilà que mes mains s'agrippent à ses bras, ses bras musclés que j'adore admirer, et voilà que ses mains glissent sur mes hanches, voilà que mon corps est pressé contre le sien, voilà qu'il m'embrasse doucement, avec une lenteur témoin de sa timidité. Je fonds contre lui, je laisse mon coeur se déverser sur ses mains, et, seulement après avoir assouvi cette soif qui murissait en moi depuis des semaines, là, seulement, je me détache de sa bouche, et je lui dis:

" Hector."

Et en un mot, et un nom, je sais qu'il a compris.

AchilleWhere stories live. Discover now