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" Je savais pas aimer, avant. Je crois que j'ai appris avec toi."

Ses doigts bruissent contre ma cuisse et ma respiration se coince dans ma gorge. Je suis éventré comme un sac à patates et je me vide de mes pommes.

" J'ai appris ce que c'était l'amour et j'ai appris comment le déployer tous les jours. Pas comme une arme, plutôt comme un parasol. Tu me protèges des dangereux rayons de la vie."

J'ai l'impression d'être un puits. Un gouffre. Non. Un trou noir. J'aspire les mots qu'il me donne— qu'il m'offre, comme s'il découpait son âme, son coeur en petites parts de gâteau qu'il m'offre comme un cadeau, comme un sacrifice de sa personne— je les aspire goulument et je les avale et je ne lui offre rien en retour. Est-ce-que c'est parce que j'ai peur, peur de m'offrir à nouveau alors qu'il est parti tant de fois? Je ne sais pas. Tout dans la vie me paraît éphémère, le rire comme les larmes. J'ai l'impression d'être un peu moins réel que le reste, comme si je n'étais qu'un dessin et que tous les autres étaient humains, de chair et d'os. Aimables, lovable, méritant de leur existence. Pas moi. Jamais moi.

" J'ai pas l'impression de mériter toutes les choses que tu me dis, Thomas."

Ses mains se posent presque machinalement de chaque côté de mon visage. Je suis sandwich.

" Eh. Regarde moi."

" Je fais que ça, te regarder."

" Je t'aime. Je t'aime. D'accord? Je sais que tu as du mal à l'entendre, je sais que tu es quelqu'un qui va très mal, et c'est en partie à cause de moi que tu es aussi brisé de l'intérieur. Je sais que le monde t'as rompu encore et encore, je sais que tu as été détruit par les effluves du monde. Je sais que tout — que rien— ne suffira pour panser tes plaies, elles sont trop profondes, elles sont trop anciennes, elles sont une part de toi, une part entière que je ne néglige pas, que je n'oublie pas, que j'aime autant que les parts entières de toi. Mais sache que je pense chaque mot que je te dis. Sache que j'essaye de devenir l'être que tu mérites. Sache que j'essaye de réparer chacune de mes erreurs de merde. J'essaye. J'essaye, mon amour, j'te le promet."

" Mmh"

" Donne moi des mots, s'il te plait."

" Je ne peux pas te donner plus que ça."

" Alors continue de me regarder. Ne détourne pas tes beaux yeux de moi."


J'ai l'impression d'être un naufragé. D'avoir encore la douleur fantomatique de l'eau salée dans mes bronches, qui descend vers mes poumons. J'ai l'impression fantôme de m'étouffer, parfois, de ressentir l'air qui s'expulse de mes poumons et le CO2 qui m'envahit comme de la peste. J'ai l'impression de couler, perpétuellement. Je crois que je suis incapable de guérir du vide.

Il me tient la main. Quand j'écris, quand je mange, quand je dors. Il me tient la main comme si j'allais m'envoler. Ou alors il me tient la main pour ne pas qu'il s'enfonce, lui, pour ne pas être tenté de partir en courant. J'ai peur qu'il parte. Mais de manière presque nulle. Je ne pense plus à rien, sauf au désespoir qui m'envahit presque à l'avance, comme si je faisais déjà le deuil de son départ alors qu'il dort à mes côtés.

Icare est enterré depuis bel lurette. Il a cramé et ses os sont carbonisés.

" Achille."

Mon prénom est comme une massue qu'on abat brutalement sur mon crane.

" Achille."

J'ai envie d'hurler, de pleurer et de poignarder mon coeur grisâtre.

" Achille!"

Enfin je me réveille d'un énième cauchemar. Ses lèvres sont au dessus de mon nez, je suis un peu comme un enfant émerveillé, éberlué, un peu surpris de le retrouver aussi près. Tous les jours je crois que je retrouverai un lit vide. Tous les jours il est là pourtant.

" Je suis un monstre."

" Pourquoi? Donne moi une raison valable."

" Dès que tu reviens je jette Hector comme une merde. Et dès que tu pars je me réfugie dans ses bras."

" Pourquoi tu penses à ça dès le réveil?"

" Parce que je suis une sombre merde. Et que dès que tu vas partir je me sentirai si seul que j'irai toquer à sa porte comme la sombre merde que je suis."

" Mais qui t'as dit que j'allai partir?"

" Purée, Tom. Tu pars toujours. Pourquoi tu me mens comme ça?"

" Tu me fais pas confiance."

" Comment est-ce-que je peux te faire confiance? Tu es plus éphémère qu'une putain de bulle de savon. Tu brilles, t'es magnifique, tu égayes ma salle de bain. Mais je cligne des yeux et t'as disparu."

Je suis en train de piétiner mes relations. C'est ce que je fais de mieux. Je ne sais pas être linéaire. Je lui ai appris à aimer? C'est un miracle puisque même moi je ne sais pas faire. Je suis un monstre qui n'a pas les mots, qui ne sais ni dire ni exprimer, qui ne sais qui briser, anéantir, ruiner, détruire— niquer, à la grande limite. A part baiser je ne sais rien. Je ne sais jamais rien. Je sais être vulgaire, je sais user de mots simples et bruts pour exprimer des sentiments à peine plus clairs que de l'eau boueuse, de la pluie, des flaques.

" Achille, qu'est ce qui a amené ce train de pensées?"

" Tu pars toujours. Tu restes assez longtemps pour que je me sente à nouveau en sécurité, pour que je t'ouvre mon coeur, mon âme, mon corps, pour que j'ai l'impression que cette fois c'est la bonne, que cette fois tu resteras, que cette fois on peut construire quelque chose, quelque chose de vrai, de concret, de beau, mais en fait dès que les choses prennent forme tu te casses. Parce que t'as peur. Pour toi, pour moi, j'en sais rien et en fait, en réalité, j'en ai rien à foutre. J'veux pas que tu te casses, j'veux pas que tu fuis, même si c'est ce que tu fais de mieux. J'veux que tu restes, merde, j'veux que tu m'offres l'amour que tu me dois parce que oui, je suis ta putain d'âme soeur, parce que j'emmerde les Parques, j'emmerde les Dieux, j'veux juste mon amour et j'veux être heureux avec toi mais j'en peux plus de cette peur, de cette angoisse, j'en peux plus du vide, j'en ai tellement marre ça me fait si mal bordel."

Les larmes coulent le long de mon visage comme d'honteuses cascades. Je me sens si petit, si détestable, je n'ose même plus le regarder dans les yeux. Ses doigts glissent sous mon menton et me tournent vers lui doucement.

" Je t'aime. Je suis là. Je ne pars pas. Je reste."

" Jusqu'à ce que tu ne restes plus."

" Mon coeur, je veux être là. Je ne veux pas partir."

" Tu dis ça mais tu finis toujours par le faire."

Il ferme les yeux.

" Je ne sais pas comment te prouver que je vais rester."

" Epouse moi."

" Achille..."

" Epouse moi."

" Tu sais que ça ne suffit pas. J'avais essayé et—"

" C'était avec Fred. C'est différent. Fred n'est pas moi."

" Achille..."

" Je te demande d'y réfléchir. Je te demande pas en mariage. Mais, réfléchis-y. Si tu ne comptes pas partir, qu'est ce qui t'empêche de te promettre à moi pour l'éternité?"

" J'y réfléchis. Ça te va?"

" Pour l'instant, oui."

AchilleWhere stories live. Discover now