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" Merci d'être venu, encore."

" Non, vraiment, merci de m'avoir invité."

Il fait frais. La lune est ronde, haute dans le ciel noir de Paris. Pourtant les rues ne sont pas sombres. Partout, les lampadaires illuminent les rues comme des lucioles citadines. Il me tient la main, de manière presque absente, et je me demande si lui aussi sent chacune de ses cellules se réveiller à cause de ma peau, où si seulement ma paume est en train de devenir folle.

Il m'a raccompagné jusqu'à mon appart'. Il me regarde de ses beaux yeux gris, et je le regarde. Je suis heureux. J'ai l'impression d'avoir vécu mille et un bons souvenirs en une seule soirée.

" Tu reviendras?"

" Bien sûr. Je les adore."

" Super."

Chacune de ces syllabes sont lourdes de sens, mais je ne comprends pas les non-dits, pas ce soir. Je suis fatigué et je flotte sur un nuage comme un avion en papier.

" Merci d'être venu jusqu'ici, Hector. Tu veux rentrer un peu? Il caille."

Il sourit, et j'ai l'impression que mon monde se remet à tourner. Il acquiesce. On rentre dans l'appartement, silencieusement, comme s'il y avait quelqu'un à réveiller. J'allume la lumière de la cuisine, on s'assoit au comptoir, sous une lumière tamisée, sous les feuilles de la plante que je suis allé acheter aujourd'hui, histoire de ne pas avoir l'impression de vivre seul. Je l'ai appelée Marc. Je lui raconte l'anecdote et il rit, un rire si agréable que j'en perds mon français.

Le temps passe. On rit, on parle, la nuit défile au rythme des anecdotes qui fusent. Je ne lui dois rien, il ne me doit rien, et l'alcool n'a même pas besoin de fuser pour que les sourires se diffusent. On ne fume pas, on ne boit pas, sauf quand il demande timidement si j'ai de la tisane— je deviens alors soudain un stay-at-home husband, et je lui concocte et tisane et biscuits— et ça me fait du bien. Cette jovialité non-alternée pas quelconques substances, ce bonheur qui provient de nous, juste nous, nous et nos langues qui ne font que gesticuler. On parle, on parle jusqu'à l'aube, alors quand le soleil pointe le bout de son nez et qu'on doit aller bosser j'en suis presque triste, parce qu'il doit partir— et non pas parce que je n'ai pas dormi.

Ensemble on repart de l'appartement, ensemble on mange dans un café encore somnolant, ensemble on marche vers le métro, ensemble on rit jusqu'aux larmes.





Quand j'ai fini de bosser, je le vois, il m'attend, et je me sens empli d'un bonheur incandescent.

" Ça te dit d'aller sur un bateau mouche?"

" Mais—"

" Ouais je sais, c'est un truc de touriste— mais j'veux te raconter des anecdotes. Et si je ne bouge pas je pense que je vais m'endormir sur place."

" D'accord— D'accord. Bien sur. Allons-y"

Il nous en a réservé un, un bateau privé. Au milieu trône une table, avec une nappe nacrée et des bougies qui luisent dans la pénombre parisienne. On s'assoit.

" Quand j'étais petit, ma mère m'emmenait souvent sur les bateaux mouches. Elle appelait ça des guêpiers. Elle disait que ça butinait les ressources des touristes et ça fécondait la ville de Paris." Il regarde le paysage urbain qui s'écoule doucement au delà de nous. " Ma mère était pas la pire personne qui soit, avant de me foutre à la porte. Elle était gentille. Un peu aigrie, un peu difficile, par moments. Vers la fin c'était souvent."

Je l'écoute parler. De ses parents, de Paris, le Paris qu'il connait, de sa jeunesse, de son bonheur— il dessine beaucoup, en ce moment. Il me montre des sketchs colorés, qui émanent pourtant d'une nostalgie douloureuse qui me tord les tripes— et je l'écoute. J'ai l'impression qu'il est devenu une fontaine à mots, et je me laisse baigner dedans, dans ses mots, dans sa bonne humeur. Je me laisse flotter sur la Seine au gré de son âme qui danse.

" Tu sais, Achille, je suis heureux que tu soies venu. Je suis heureux que tu soies là. Enfin. Tu sais, j'aime bien quand tu es dans ma vie."

Je souris.

" Je suis heureux quand t'es dans ma vie aussi."

Ses doigts effleurent le bout des miens.

" Qu'est ce qui fait que tu es là, en ce moment?"

Je me mords la lèvre inférieure. J'ai l'impression d'être sale, une sangsue, j'ai l'impression de m'accrocher à un être trop pur pour ma noirceur.

" Tu me manques. Tu es une personne géniale, et ça me manquait d'être avec toi. Peut être que je suis trop honnête, mais je sais pas, tes mots ont ouvert en moi des questions que je m'empêchais de me poser parce que je refusais de foutre la merde dans ma jolie relation malsaine. Je savais que je brûlais dans la salle d'attende de l'Enfer, je savais que j'attendais un feu destructeur et j'attendais, sans rien faire, parce que je ne savais pas faire autrement. Tu m'as montré encore et encore ce que c'est d'être aimé sainement. Et je ne veux pas te voler ça, je ne veux pas te dérober de ta santé, de ta pureté, de cette chose en toi qui fait que tu es divin. Je ne veux pas déteindre sur toi. C'était ma peur avant mais maintenant c'est centuplé par le fait que je ne suis plus juste un dépressif de merde mais aussi quelqu'un qui t'a activement blessé. J'aime aussi être ton ami, j'aime être dans ta vie, même si je sais que— même si— enfin. Je ne veux pas croire que je suis amoureux juste parce que tu me fais du bien. Je ne sais même pas ce que c'est, l'amour, Tom me l'a fait oublier."

Inspiration.

" Je me souviens de manière presque abstraite de l'amour que j'éprouvais— que je crois encore éprouver— pour toi. C'était un feu doux et rougeoyant."

Expiration.

" Je sais que je dis trop, Hector, je sais que je parle trop mais je sais pas j'avais besoin de vider ce sac de mots qui flottait dans mon cerveau."

" Tu as le droit de vider ton sac de mots."

" Merci."

" Je crois que je comprends ce que tu tentes tant bien que mal d'exprimer. Et sache que je n'attend rien de toi, sache que je t'aime— et que peu importe la forme, je suis prêt à accepter cela. Etre dans ta vie me fait du bien aussi."

" Comment est-ce-que je te fais du bien? J'ai l'impression de ne faire que du mal."

" Si tu étais si monstrueux que ça, je ne resterais pas."

" Je sais pas si c'est rassurant ou terrifiant."

" Je ne sais pas comment t'aider à comprendre ce que je pense. Mais je vais rester pour te montrer. Jour après jour. D'accord?"

" D'accord."

Pause.

" Merci Hector. Tu es, et tu seras toujours, l'âme la plus douce et attentionnée que je ne connaisse."

AchilleWhere stories live. Discover now