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Et le feu infatigable le consumera promptement à tous les yeux

L'Iliade

Ses yeux me suivirent jusqu'à mes rêves, cupide espoir. Je me réveillais, grelottant dans ma maison-arctique, à moitié amnésique. Le craquement de mes os me ramenait à la réalité, je devenais monstre squelettique, critique, peau calcinée, cheveux enflammés, grand brûlé. Les murs de ma chambre semblaient chuchoter, messes basses tacites. Mes membres se déplièrent comme les pattes d'une araignée, spiderman moins sophistiqué, je m'extirpais de mon nid douillet, plumes mouillés d'une poule, bec cloué.

La lumière de la salle de bain m'agressa les yeux, comme à l'accoutumée. Je pouvais presque l'entendre m'insulter, voix baritone pleine de reproches. Comment oses-tu te réveiller? Comment oses-tu te relever? Icare dévergondé, mi-homme mi-flammes, chair rôtie de la poule gratinée.

Mon reflet me paraissait celui d'un inconnu. Même pas seulement d'un inconnu- non. Un inconnu, je l'aurais admiré, je ne l'aurais pas déprécier, je l'aurais romantisé, passant devenu figure poétique, mendiant devenu figure de la beauté. Non. Mon reflet me paraissait monstrueux, monstruosité décuplée par mes traits étirés, par mon corps rapetissé, par mes cheveux trop longs, mon nez trop court, mes vêtements tachés, mes membres éclatés. J'étais défiguré, disproportionné, osseux et fracassé. Mon nez me paraissait étiré, mes yeux exorbités, personnage Burtonesque raté, antagonistement beau, peut être, mochement héroïque, personnage transfiguré, je criais horreur et damnation de mes cordes vocales violentées.

Mon miroir devenait mon ennemi, il m'incitait à la violence, j'avais envie de le fracasser, mon pouls battait dans ma gorge, je devenais poule mouillée. Moi, violent? Avec quels bras? Quelles jambes? J'étais à peine dessiné, j'étais un sketch jamais terminé, j'étais œuvre bâclée, débâclé infernal, j'étais horreur et terreur, monstre des cités.

Achille éclaté, héros exterminé.

J'avais envie de pleurer.

Mais sa main brûlante avait effleurée la mienne. Sa main avait retracé les contours de mes os monstrueux, sa main ne m'avait pas lâché, moi, prostré au bord du gouffre, sa main m'avait sauvé, victime des Enfers, sa m'avait m'avait extirpé d'entre les doigts anguleux d'Hades, ses doigts m'avaient ramené à la vie.

Soleil et nuages, sourires et poésie, Apollon m'avait trouvé, bel héros défiguré, bel héros anéanti, Apollon m'avait dessiné, portrait achevé, Apollon m'avait fait elfe, Apollon m'avait fait créature magique, féerique, Apollon m'avait redonné la vie, Apollon m'avait transfiguré, boue en or, Baudelaire d'Olympie, soleil aux rayons revigorants.

Pourquoi mettais-je autant d'espoir dans un instant alcoolisé? Il n'était que mon voisin, qu'un ami, une figure à peine dessinée dans le plan de mon destin, traits à demi-effacés. Je ne le connaissais pas, ce serpent à la langue rosée. Pourtant, pour lui, je me voyais déjà mordre dans la pomme interdite, je me voyais la goûter avec délice, la savourer, yeux dans les yeux avec Dieu, joute du regard interdite. On me virerait d'Eden à coups de pieds, je m'éclaterais la gueule dans le désert, je m'ouvrirais le menton dans le sable, mon nez se ratatinerait. Mais je sourirais, pécheur ravi, cœur ébloui.

Mon miroir me montra la figure modifiée d'un monstre. Bête aux joues rosies, sourire anguleux, biscornu, distordu, cœur gonflé, menaçant de s'échapper d'entre mes côtes, doigts refermés sur le rebord de l'évier, portant le poids du monde, Atlas de la salle de bain.

Je n'avais plus la force de gueuler à Icare de redescendre, je voulais voir jusqu'où il pouvait aller, je voulais le voir cramer, haut dans les nuées, je voulais le voir s'enflammer, je voulais le voir m'eblouir, feu doré, Prométhée, je voulais le voir s'embraser. Était-ce de l'auto destruction? De la simple curiosité? Je lui criais de voler, toujours plus haut, bientôt ses doigts effleureraient le soleil brûlant, bientôt il toucherait les cieux, bientôt il deviendrait dieu.

Vole, Icare, vole, tu le mérites. Envole toi, Icare.

AchilleWhere stories live. Discover now