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Une certitude s'épanouit en moi et vint se loger dans ma gorge. Je ne le quitterai jamais. Je serais à lui pour toujours, autant qu'il voudra de moi

Le Chant d'Achille

Tes silences parlaient plus que tes mots. Tes mots étaient banals, ceux qu'on prononce comme pour se dédouaner de leur sens, pour se séparer des pensées qui accablent notre esprit, pour vomir nos peines, cachées dans des mots, des sons, des onomatopées calibrées de telle façon à ne jamais parvenir à comprendre leur sens cacher.

Tes silences étaient éloquents. Ils me disaient tout ce que je devais comprendre, ils me déclamaient sonnets et blasons, ils me chantaient maintes paroles, ils me parlaient de tout et de rien.

Nous ne savions pas parler.

Nos interactions se limitaient aux échanges de sucreries, assis, abrutis, devant un film d'action choisi par ton— notre— amie. Mais ton regard disait toujours plus. Ton regard-fenêtre me chuchotait des mots impossibles à traduire, ton sourire-portail m'offrait tous les univers à venir.

Avec toi, je devenais plus que le monstre que je pensais être. Avec toi, ma monstruosité devenait héroïque. Je devenais protagoniste de ton histoire, héros de tes poèmes, tu m'écrivais comme un vainqueur et me dessinais comme un guerrier. Avec toi, ma main portait une lance aiguisée, j'étais hoplite équipé. Tu me regardais avec les yeux écarquillés d'un enfant surexcité, tu m'apprenais l'art du silence et des non-dits, tu me montrais que silence ne rimait pas forcément avec avarice, tu me montrais que l'économie des mots cachait une éloquence déterminée.


Tu étais venu, une nuit, je crois que c'était le cinquième jour de Décembre. Il faisait froid, déjà, l'hiver approchait à grands pas, alors je m'étais emmitouflé dans une épaisse couverture, assis sur mon canapé entre panoplie de notes esquissées. Je révisais pour mes exams, tête prête à exploser, quand tu avais doucement toqué, poing fermé, à ma porte givrée.

Je t'avais ouvert, Icare affamé, et tu m'avais souri, ensoleillé. Ton regard-fenêtre, tes yeux soucoupe-volante avaient regardé derrière moi, comme pour s'assurer que j'étais non-accompagné. Tu étais entré, sans attendre que je te laisse entrer, tu avais fermé la porte derrière moi, et tu avais commencé à parler.

Les mots s'emmêlaient au fil de tes phrases, enchevêtrement rêche de sons. Tu avais laissé couler ce flot blanchâtre de mots, tu t'étais laissé saigner sur mon sol, ton coeur mis à nu, et je t'avais écouter.

Tu avais peur de Noël qui approchais. Tu avais peur de revoir ta famille, celle qui t'avais renié. Tu n'y étais jamais allé, pas depuis six ans, tu avais refusé, alors que t'y étais invité. Tu ne voulais y retourner. Tu m'avais expliqué que ta famille était recomposée, que tu l'avais retrouvée, de toi-même, sans leur aide, que le sang t'importait peu. Tu m'avais annoncé qu'Athena était autant ta mère que ta génitrice, peut être même plus, bien bien plus, qu'elle était protectrice et possessive par peur que tu sois blessé, elle avait peur de te voir t'éventrer, de te voir te vider, elle avait peur que tu ne meures comme t'avais crevé après qu'ils t'aient jeté.

Je t'avais enlacé, je t'avais gardé contre moi, ton corps tremblant d'ours fragilisé. Tu sentais Paris, tu sentais le sucre, tu sentais le chalet de ma grand-mère. Tu sentais les cookies, les pains d'épice et les sablés. J'avais enfoui mon visage contre ton t-shirt, je t'avais entendu soupirer, j'avais senti tes mains sur ma taille, dans le creux de mon dos, je n'osais presque plus respirer, bouger, ciller. Je ne voulais pas te lâcher, toi qui venais de te confier, toi qui venait de m'accorder une confiance si grande que j'me sentais prêt à pleurer. Ton parfum envoutant me montait à la tête, paradis artificiel, je me sentais glisser vers la folie, insanité totale, je m'accrochais à tes bras comme à des bouées, je m'y rattachais pour moins mourir, pour moins crever, pour moins m'envoler.

Je crois que tu avais pleuré, larmes étonnamment sucrées.

Ton armure s'était fissurée, laissant percer un être minuscule qui se cachait derrière une façade de baraqué. Tu cachais tes faiblesses derrière une forteresse, tu étais grand pour cacher ta petitesse. Je t'avais gardé dans mes bras, arbre déraciné, jusqu'au matin. Tu m'avais remercié à demi-mot avant de t'en aller, trop-plein de mots et de larmes t'avaient rendu embarrassé.

Sur la table de ma cuisine j'avais retrouvé un seul et unique sablé, unique vestige de ton passage, soleil éparpillé.

AchilleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant